Qu'est-ce que le djihad?
Djihad est un mot arabe qui signifie lutter, faire un effort, faire face à toutes sortes de difficultés. Après l’avènement de l’islam, il prit le sens de lutter dans la voie de Dieu.
Le Coran se réfère au djihad, un devoir islamique important, presque toujours en même temps qu’à l’islam. Les serviteurs de Dieu les plus distingués, qu’ils soient des Prophètes ou des saints, ont atteint leur distinction grâce au djihad contre les incroyants et contre leur moi charnel. Le djihad a une grande valeur aux yeux de Dieu, parce qu’Il nous a créés afin que nous puissions découvrir notre vraie nature et encourager les autres à faire de même.
Dieu décrète dans le Coran :
Ceux d’entre les croyants qui demeurent chez eux, n’étant pas infirmes, et ceux qui luttent au service de Dieu, payant de leur personne et de leurs biens, ne sauraient être égaux en mérite ! Dieu tient en plus grande estime ceux qui lui sacrifient leurs biens et leur personne. Les promesses du Seigneur s’étendent à tous les croyants. Mais Dieu a mis les combattants au-dessus des non-combattants en leur accordant une rétribution immense. (4 : 95)
Les gens ont des carrières diverses, et leurs objectifs dans ces carrières permettent aux autres d’évaluer leur importance. Mais quel est notre but? Quel que soit notre rang ou notre profession, nous avons tous été créés d’une goutte de fluide et nous finirons tous en cadavres.
Cela est vrai pour toute profession à l’exception de la Prophétie. Sa récompense se multiplie jusqu’au Jour du Jugement car elle contient une qualité spirituelle qui n’est pas touchée par la mortalité. Un Prophète cherche à faire connaître Dieu aux gens et à atteindre ainsi l’éternité. Nous n’avons pas été créés pour être soumis à la corruption et à la dissolution physiques. Notre plus profonde inclination naturelle nous porte vers l’éternité, et ce sont les Prophètes qui nous avertissent, nous instruisent et nous font réaliser cette inclination.
Pour Dieu, la Prophétie est la mission la plus sacrée confiée à l’humanité, et le djihad est la fonction la plus sacrée de cette mission. En raison de son importance, le Coran distingue les musulmans qui jurèrent au Prophète de participer au djihad :
Ceux qui te prêtent serment d’allégeance ne font que prêter serment à Dieu : la main de Dieu est au-dessus de leurs mains. Quiconque viole le serment, ne le viole qu’à son propre détriment ; et quiconque remplit son engagement envers Dieu, Il lui apportera bientôt une énorme récompense. (48 : 10)
Ce verset fut révélé quand le Messager annonça aux musulmans qu’ils iraient à La Mecque pour faire le pèlerinage. Ainsi partirent-ils en tant que pèlerins. Mais quand ils atteignirent Houdaïbiyya, les polythéistes mecquois refusèrent de les laisser passer et les menacèrent de déclencher une guerre. Cette objection inattendue choqua les croyants qui considérèrent cela comme un grand coup porté à l’honneur de l’islam. Ils ne savaient pas comment réagir. Puis le Messager envoya Othman ibn Affan à La Mecque pour réaffirmer qu’ils étaient venus seulement accomplir le pèlerinage et donc venus en paix.86 Les chefs mecquois emprisonnèrent Othman et firent circuler la rumeur de sa mort. Ces nouvelles irritèrent tellement les musulmans que le Prophète leur demanda de prêter serment d’allégeance en prenant sa main. C’est alors que Dieu révéla le verset susmentionné.
Dans un autre verset Dieu dit :
Certes, Dieu a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens parce que le Paradis sera à eux. Ils combattent dans le sentier de Dieu : ils tuent et se font tuer. C’est une promesse authentique qu’Il a prise sur Lui-même dans la Thora, l’Évangile et le Coran. Et qui est plus fidèle que Dieu à son engagement? Réjouissez-vous donc de la transaction que vous avez faite, car là est le triomphe suprême. (9 : 111)
Cette « transaction » est la distinction la plus élevée, puisque quiconque y participe devient l’interlocuteur direct de Dieu.
Le Messager de Dieu a dit : « Garder les yeux ouverts [monter la garde] pendant un jour de service, uniquement pour la cause de Dieu, contre le danger de l’infiltration de l’ennemi par un passage, vaut mieux que posséder le monde avec tout son contenu. »[87] Nous pouvons déduire de ce hadith qu’être alerte pendant un jour dans la voie de Dieu, contre n’importe quel danger susceptible de frapper la communauté, est mieux que posséder la Ka’ba – puisque la Ka’ba fait partie du contenu de ce monde.
Un autre hadith nous dit : « La récompense pour les bonnes actions s’arrête au moment de la mort, exceptée celle du djihad. La récompense pour le djihad se multiplie jusqu’au Jour du Jugement. De plus, Dieu exempte ceux qui ont lutté sur sa voie de l’interrogation dans la tombe. »[88]
Le djihad a deux aspects : lutter pour surmonter les désirs charnels et les mauvais penchants (le grand djihad) et encourager les autres à atteindre le même objectif (le petit djihad). L’armée musulmane rentrait victorieuse à Médine quand le Messager leur dit : « Nous rentrons du petit djihad et allons vers le grand djihad ». Quand les Compagnons demandèrent ce qu’était le grand djihad, il répondit que c’était la lutte contre le moi charnel.[89]
Le but des deux djihads est de purifier les croyants des péchés de sorte qu’ils puissent atteindre la vraie humanité. Les Prophètes ont été envoyés à cette fin :
Ainsi, Nous avons envoyé parmi vous un Messager de chez vous qui vous récite Nos versets (et qui vous font connaître Nos signes), vous purifie, vous enseigne le Livre et la Sagesse et vous enseigne ce que vous ne saviez pas. (2 : 151)
Nous sommes comme des minerais bruts à être façonnés par les Prophètes, qui nous purifient et nous raffinent en enlevant les sceaux de nos coeurs et de nos oreilles, et en levant les voiles de nos yeux. Éclairés par le message qu’ils apportent, nous pouvons comprendre le sens des lois de la nature, qui sont des signes de l’Existence et de l’Unité de Dieu, et atteindre la réalité subtile des choses et des événements. Seuls les Prophètes peuvent guider l’humanité au statut élevé que Dieu attend d’elle.
En plus de l’instruction des signes de la création, les Prophètes nous enseignent également le Livre et la Sagesse. Puisque le Coran est la dernière Révélation au dernier Prophète, quand Dieu parle de l’Écriture sainte Il signifie le Coran, et par la sagesse Il signifie la Sounna. Par conséquent, nous devons suivre le Coran et la Sounna du Prophète si nous désirons être correctement guidés.
Le Prophète nous enseigne aussi ce que nous ne savons pas, comme la façon de nous purifier des péchés, et nous continuerons à apprendre de lui jusqu’au Jour du Jugement. En suivant son chemin, beaucoup de grands musulmans devinrent des saints. L’un d’eux est Ali, qui dit que sa croyance dans les piliers de l’islam est si ferme que sa certitude n’augmenterait pas même si le voile de l’Invisible était levé.[90] On dit qu’Abd al- Qadir al-Jilani était capable de percevoir les mystères du septième ciel. Ceux-là et beaucoup d’autres tels que Foudhaïl ibn Iyaz, Ibrahim ibn Adham et Bishr al-Khafiy, auraient pu être dotés de la Prophétie si Dieu n’avait pas déjà envoyé le dernier Prophète.
Les nuages noirs de l’ignorance ont été dissipés de notre horizon intellectuel grâce à la direction du Prophète, et beaucoup plus de progrès scientifiques et technologiques seront atteints grâce à la lumière qu’il a apportée de Dieu.
Le djihad est le legs des Prophètes, et la Prophétie est la mission d’élever les gens à la grâce de Dieu en les purifiant. Cette mission prophétique est connue en tant que djihad car elle a la même signification qu’attester à la vérité. Ceux qui participent au djihad certifient l’Existence et l’Unité de Dieu en luttant dans Sa voie : Dieu atteste, et aussi les Anges et les doués de science, qu’il n’y a point de divinité à part Lui, le Mainteneur de la justice. Point de divinité à part Lui, le Puissant, le Sage ! (3 : 18) Ces personnes témoigneront également de la même vérité dans la cour céleste, où le cas des incroyants serait décidé.
Dieu témoigne de sa propre Existence et de Son Unité, et ceux qui ont acquis un niveau élevé de perception peuvent saisir la réalité de ce témoignage. Les anges en témoignent, car ils sont d’une nature absolument pure, de même que les personnes dotées du savoir. Même si tout le monde devait nier l’Existence et l’Unité de Dieu, le témoignage de ces groupes suffirait à soutenir cette vérité.
Ceux qui attestent cette vérité devraient voyager dans le monde entier pour la répandre. C’était le devoir des Prophètes, et il devrait être aussi le nôtre :
Des messagers, annonciateurs de bonnes nouvelles et avertisseurs, afin qu’après la venue des messagers il n’y eût pour les gens point d’argument devant Dieu. Dieu est Puissant et Sage. Dieu témoigne de ce qu’Il a fait descendre vers toi, Il l’a fait descendre en toute connaissance. Et les anges en témoignent. Et Dieu suffit comme témoin. (4 : 165-166)
Dieu a choisi un homme de chaque nation et l’a nommé Prophète. Depuis l’époque du Prophète Adam, chaque ère ténébreuse de l’histoire humaine a été éclairée par le message d’un Prophète. Cela a continué jusqu’à l’époque de Mohammed, qui a été envoyé pour éclairer tous les horizons intellectuels et spirituels de l’humanité entière : Nous t’avons envoyé en tant que témoin, annonciateur de la bonne nouvelle et avertisseur. (48 : 8)
Le Prophète Mohammed est mentionné dans le Coran comme « le Prophète ». L’utilisation de l’article défini le distingue de tout autre Prophète et le désigne comme Prophète par excellence. Il a été envoyé comme une miséricorde pour toute la création, y compris les animaux, les plantes et les choses inanimées.
Dieu s’adresse directement à Mohammed dans beaucoup de versets du Coran et dit : Nous t’avons envoyé... Cela signifie qu’il est le Prophète envoyé par Dieu pour témoigner de Son Existence et de Son Unité. Il a accompli cette tâche durant une ère d’ignorance où presque tout le monde niait cette vérité. Le nombre de ses disciples augmentait graduellement jusqu’à ce qu’ils devinrent les porteurs universels de la bannière de cette vérité. Le Prophète Mohammed a annoncé les bonnes nouvelles de la félicité dans ce monde et dans le prochain aux vertueux, et a averti ceux qui sont dans l’erreur. Ce faisant il accomplissait le djihad.
Dieu a envoyé un Prophète à chaque nation, ce qui veut dire que tout le monde a une idée de la Prophétie. En tant que terme employé pour décrire l’activité de la Prophétie, le djihad est si profondément gravé dans le coeur de chaque croyant qu’ils ressentent tous une responsabilité profonde de promulguer la vérité et de guider ainsi les autres sur le Droit Chemin.
Le petit djihad, habituellement compris comme le combat pour la cause de Dieu, ne se réfère pas seulement au combat réel sur le champ de bataille. C’est plutôt quelque chose d’universel, car cela inclut chaque action de promulguer la vérité, de la simple parole jusqu’au combat réel, avec la condition que l’action soit faite pour Dieu. Chaque action individuelle ou collective, si petite ou si grande soit-elle, faite au profit de l’humanité est comprise dans la signification du petit djihad.
Tandis que le petit djihad dépend de la mobilisation de tous les moyens matériels et a lieu dans le monde externe, le grand djihad est notre lutte personnelle contre notre moi charnel. Ces deux formes de djihad ne peuvent pas être séparées l’une de l’autre, car seuls ceux qui maîtrisent leur moi charnel peuvent participer au petit djihad, qui à son tour nous aide à réussir le grand djihad.
Le Messager nous a montré comment faire les deux types de djihad et a établi les principes de la prédication de la vérité que nous devons appliquer jusqu’au Jour du Jugement. Sa méthode d’action était très systématique. Ceci est d’ailleurs une autre preuve de sa Prophétie, et un très bon exemple de l’attachement à la voie de Dieu dans notre comportement.
Le Messager avait l’habitude de prier dans la Ka’ba pendant les premières années de sa Prophétie. Outre son désir de recevoir davantage de récompenses de Dieu, son intention première était de prêcher la vérité aux jeunes. Or il était impossible de les aborder à cause de leur arrogance. Sachant que les actions parlent plus fort que les mots, il commença à prier dans la Ka’ba. Éveillant ainsi leur curiosité, ils lui demandèrent ce qu’il faisait et une bonne occasion de leur prêcher se présenta donc à lui.
Le Prophète fut attaqué plusieurs fois durant ses prières. Un jour, Abou Jahl projeta de le tuer avec une grande pierre pendant sa prosternation. Il souleva la pierre, prêt à la laisser tomber sur le Prophète, quand il se mit à trembler, devint pâle de frayeur, ses mains s’immobilisant au-dessus de sa tête. Quand on lui demanda ce qui s’était produit, il répondit qu’un monstre terrifiant s’était interposé entre lui et le Prophète, et qu’il était sur le point de l’avaler.[91]
En une autre occasion, alors que le Messager de Dieu était en train de prier, Ouqba ibn Abi Mou’aïte s’approcha de lui et tenta de l’étrangler. Apprenant cela Abou Bakr accourut pour sauver le Messager et dit : « Allez-vous tuer un homme juste parce qu’il a affirmé : ‘Mon Seigneur est Dieu’? »[92] Ceci était un écho des mots prononcés du temps de Moïse par un croyant qui avait accouru pour le sauver de ceux qui voulaient le tuer.
Le Prophète aurait pu tomber martyr lors de l’un de ces assauts si Dieu ne l’avait pas protégé. Il a publiquement démontré l’importance de prêcher la vérité même au péril de sa vie.
Abou Bakr avait l’habitude de réciter le Coran à haute voix au bord d’une fenêtre de sa maison. Ceux qui l’entendaient se rassemblaient autour de lui. Sa récitation attira tant de monde que les chefs mecquois lui dirent d’arrêter. Ibn Daghinnah, qui avait étendu sa protection à Abou Bakr, dut la lui retirer. Cependant, Abou Bakr était déterminé à continuer sa récitation.[93]
Que ce soit par la parole ou par l’action, les Compagnons ne cessèrent jamais de faire le djihad, parce qu’ils croyaient fermement que leur intégrité personnelle et collective dépendait de leur participation active au djihad. En outre, ils avaient compris qu’un musulman ne pouvait attirer la protection de Dieu qu’en soutenant sa religion : Ô vous qui croyez ! Si vous faites triompher (la cause de) Dieu, Il vous fera triompher et raffermira vos pas. (47 : 7) En d’autres termes, les musulmans qui cherchent à se protéger de l’égarement doivent faire de la lutte pour la cause de Dieu, l’unique but de leur vie.
Pour comprendre comment faire cela, rappelez-vous comment le Prophète et ses Compagnons se conduisaient. Quand les conditions devinrent insupportables, quelques musulmans furent autorisés à émigrer en Abyssinie. Cette émigration fut une sorte de djihad qui devait avoir lieu à ce moment-là. Après une deuxième émigration, tous les musulmans qui étaient restés ou qui étaient rentrés à La Mecque émigrèrent à Médine.
Là furent posées les fondations de la première cité-État islamique et d’un nouveau genre de djihad, qui devrait tenir compte des réalités existantes. Tantôt les musulmans couraient et tantôt ils marchaient lentement. En d’autres termes, le djihad nécessite une stratégie qui lui est propre. Les musulmans n’exercèrent pas de représailles contre leurs persécuteurs jusqu’à ce que Dieu le leur permît en révélant le verset suivant à Médine :
Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) parce qu’ils ont été lésés ; et Dieu est certes capable de leur donner la victoire. Ce sont ceux qui ont été injustement expulsés de leurs demeures simplement parce qu’ils disaient : “Notre Seigneur est Dieu”. Si Dieu ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom de Dieu est souvent invoqué. Dieu soutient, certes, ceux qui soutiennent Sa religion. Dieu est assurément Fort et Puissant. (22 : 39-40)
Après avoir enduré toutes sortes de persécutions pendant des années, les croyants répondirent avec enthousiasme à cet appel. Seuls les Hypocrites refusèrent de se présenter quand le Prophète appela les musulmans à combattre les Mecquois. Les Hypocrites restèrent oisifs chez eux ou désertèrent le champ de bataille, car ils étaient asservis par leur moi charnel et leurs vils désirs. En revanche, tous les musulmans sincères se précipitaient au combat chaque fois qu’ils y étaient appelés, car le djihad était le moyen d’atteindre Dieu et l’éternité. Ils répondaient à l’appel avec autant d’enthousiasme que s’ils avaient été invités au Paradis.
Presque tous les êtres humains redoutent la mort, et certains Compagnons n’étaient pas une exception. Comme on le lit dans le Coran : Le combat vous a été prescrit alors qu’il vous est désagréable. Or il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est un bien. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle vous est mauvaise. C’est Dieu qui sait, alors que vous ne savez pas. (2 : 216) Une telle aversion est une caractéristique humaine naturelle. Malgré cela, les musulmans ne désobéirent jamais vraiment à Dieu et à Son Messager, et en retour Dieu leur accorda le succès et la victoire. Ces victoires renouvelèrent la force et l’énergie des croyants, ce qui eut pour effet d’attirer l’attention des tribus voisines et de causer de grands dommages aux Mecquois.
Grâce au djihad les musulmans ont maintenu leur croyance vigoureuse et active. Ceux qui abandonnent le djihad sombrent peu à peu dans le pessimisme, car ils se sont privés de la spiritualité et ont cessé de prêcher la vérité. Ceux qui persévèrent dans le djihad ne perdent jamais leur enthousiasme et essayent toujours d’élargir l’étendue de leurs activités. Puisque toute bonne action engendre une nouvelle bonne action, les musulmans ne sont jamais privés du bien : Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers, Dieu est en vérité avec les bienfaisants. (29 : 69)
Il y a autant de voies menant au droit chemin qu’il y a de souffles expirés dans la création. Quiconque lutte pour la cause de Dieu est guidé à l’une de ces voies et est alors sauvé de l’égarement. Quiconque ainsi guidé mène une vie équilibrée, sans outrepasser les limites dans ses activités et besoins humains, ni dans son adoration et ses autres observances religieuses. Un tel équilibre est le signe de la vraie guidance.
Quelle que soit la quantité de sacrifices que nous faisons en luttant contre l’incroyance, ils ne constituent néanmoins que le petit djihad. Cet aspect du djihad est moindre seulement quand il est comparé au grand djihad. Le petit djihad ne devrait jamais être sous-estimé, car il permet aux musulmans d’avoir l’honneur de participer à une expédition militaire au nom de l’islam ou d’acquérir le rang de martyr. De tels titres ouvrent les portes du Paradis et garantissent l’agrément de Dieu.
Le petit djihad signifie tâcher d’accomplir les engagements religieux aussi parfaitement que possible, tandis que le grand djihad exige de nous de lutter contre nos mauvais penchants et nos pulsions destructives tels que l’arrogance, la vengeance, la jalousie, l’égoïsme, la vanité et tous les désirs charnels.
Ceux qui abandonnent le petit djihad sont exposés au déclin spirituel, à cause de leur faiblesse pour les biens matériels. Mais ils peuvent se ressaisir. La fierté et le désir de confort et de facilité peuvent s’emparer des soldats musulmans retournant d’une bataille victorieuse, car ils peuvent penser qu’il est désormais temps pour eux de se détendre et de se livrer à de telles choses. Pour combattre cette tendance, le Prophète nous a avertis par le biais de ses Compagnons. Une fois, en rentrant à Médine après une victoire, il dit : « Nous revenons du petit djihad pour aller vers le grand djihad ».[94]
Les Compagnons étaient aussi féroces que des lions sur le champ de bataille, et aussi sincères et humbles que des derviches dans l’adoration de Dieu. Ils avaient l’habitude de passer la majorité de la nuit en prière. Un jour, durant une bataille alors que la nuit tombait, deux soldats montaient la garde à tour de rôle. L’un d’eux se reposait tandis que l’autre priait. Se rendant compte de la situation, l’ennemi tira plusieurs flèches dans sa direction. Il fut blessé et saignait profusément, mais il poursuivit sa prière. Quand il finit, il réveilla son ami, qui lui demanda stupéfait pourquoi il ne l’avait pas réveillé plus tôt. Il répondit : « Je récitais la sourate al-Kahf et je n’ai pas voulu interrompre l’immense plaisir que j’y trouvais ».[95]
Quand ils priaient, les Compagnons entraient dans un état d’extase proche des transes, et récitaient le Coran comme s’il leur était directement révélé. C’est pour cette raison qu’ils ne ressentaient jamais la douleur provoquée par les flèches pénétrant leurs corps. Ils incarnaient parfaitement le djihad, à la fois le petit et le grand.
Le Prophète a allié ces deux aspects du djihad de la façon la plus parfaite. Il a montré un courage exceptionnel sur le champ de bataille. Ali, l’un des plus vaillants musulmans, avoue que les Compagnons prirent refuge derrière le Prophète dans les moments les plus critiques du combat. Quand l’armée musulmane dut se replier et commença à se disperser dans la première phase de la bataille de Hounaïn, le Prophète ne prit pas la fuite. Il s’élança avec son cheval en direction de l’ennemi et cria à ses soldats en retraite : « C’est moi le Prophète, nul mensonge en cela ! C’est moi le fils d’Abd al-Mouttalib ! »[96]
Il était tout aussi dévoué quand il s’agissait de l’adoration de Dieu. Il était si consumé par l’amour et la crainte de Dieu dans sa prière que ceux qui le voyaient dans cet état ressentaient une grande tendresse pour lui. Il jeûnait souvent plusieurs jours consécutifs sans aucune interruption. Il passait parfois toute la nuit en prière, ce qui faisait enfler ses pieds. Un jour, comme Aïcha pensait que sa persistance dans la prière était excessive, elle lui demanda pourquoi il s’épuisait autant alors que tous ses péchés avaient déjà été pardonnés. « Ne devrais-je pas être un serviteur reconnaissant envers Dieu? », fut sa seule réponse.[97]
Le Prophète était si courageux que quand plusieurs Mecquois étaient sur le point de le trouver alors qu’il se cachait avec Abou Bakr dans la grotte de Thawr, il lui dit simplement : « Ne crains rien, certes Dieu est avec nous. »[98] D’autre part, il avait le coeur si tendre qu’il pleurait abondamment en récitant ou en écoutant le Coran. Il demanda une fois à Ibn Massoud de réciter un passage du Coran. Ce dernier s’excusa, en expliquant qu’il ne pourrait pas réciter le Coran à celui à qui il avait été révélé. Mais le Messager de Dieu insista en disant qu’il aimait écouter quelqu’un d’autre le réciter. Ibn Massoud se mit alors à réciter la sourate an-Nisa. Quand il arriva au verset suivant : Comment seront-ils quand Nous ferons venir de chaque communauté un témoin et que Nous te ferons venir (ô Mohammed) comme témoin contre ces gens-ci? (4 : 41), le Prophète lui demanda de s’arrêter car, par crainte de Dieu, il n’avait plus la force de le supporter. Ibn Massoud relate le reste de l’histoire ainsi : « Le Messager avait versé tant de chaudes larmes que je cessai de réciter. »[99] Le Prophète était aussi tendre qu’il était brave. Il implorait le pardon à Dieu au moins soixante-dix fois par jour, et exhortait sa communauté à en faire autant.[100]
Ceux qui réussissent au grand djihad réussissent à coup sûr au petit djihad aussi, mais l’inverse n’est pas vrai. Aïcha relate : « Une nuit, le Messager demanda ma permission pour accomplir sa prière surérogatoire de nuit. J’ai dit : ‘Bien que je souhaite beaucoup ta compagnie, je souhaite encore plus faire ce que tu souhaites.’ Alors il fit ses ablutions (woudou’) et commença à prier. Il récita : En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a certes des signes (de Sa souveraineté) pour les doués d’intelligence (3 : 190) à maintes reprises, versant des larmes jusqu’à l’aube. »[101]
Parfois il se levait pour prier sans réveiller son épouse, parce qu’il ne voulait pas déranger son sommeil. Aïcha relate :
Une nuit je me réveillai et constatai que le Messager n’était pas là. En pensant qu’il se pourrait qu’il fût allé rendre visite à l’une de ses autres épouses, je devins très jalouse. Je commençai à me lever quand ma main toucha ses pieds dans l’obscurité. Il s’était prosterné et disait dans sa prière : « Ô Dieu, je cherche le refuge dans Ton plaisir contre Ta colère, je cherche le refuge dans Ton pardon contre Ta punition. Ô Dieu, je cherche le refuge auprès de Toi contre Toi, je cherche le refuge dans Ta grâce contre Ton courroux, dans Ta pitié contre Ta majesté, et dans Ta compassion contre Ta puissance irrésistible. Je ne peux Te louer comme Tu Te loues. »[102]
Étant bien conscients de l’obligation de suivre son exemple dans chaque action, ses Compagnons firent de leur mieux pour être dignes de sa compagnie dans l’Au-delà. Certains devinrent physiquement affligés à l’idée d’être séparés de lui dans la vie suivante. Par exemple, Thawban perdit l’appétit parce qu’il n’avait pas été capable de participer à une expédition militaire. Au retour du Prophète, tout le monde sortit à sa rencontre. Thawban était si pâle que le Messager s’enquit de sa santé. Thawban répondit :
Ô Messager de Dieu, je suis obsédé par la crainte d’être séparé de toi dans l’Au-delà. Tu es le Messager, tu iras donc au Paradis, mais je ne sais pas si je le mériterai. Et même si Dieu m’admettait, ta demeure sera certainement infiniment audessus de la mienne. Dans ce cas, je ne pourrai pas être en ta compagnie pour toujours. Je ne sais pas si je pourrai supporter cela, vu que je n’ai pas pu supporter la séparation de trois jours dans ce monde.
L’inquiétude de Thawban fut dissipée quand le Messager lui dit : « L’homme est toujours avec celui qu’il aime. »[103] Aimer quelqu’un signifie suivre son exemple dans cette vie, et les Compagnons étaient plus attentifs à ce sujet que n’importe qui d’autre.
Omar était très désireux d’établir un rapport familial avec le Messager, car il avait entendu ce dernier dire que toutes les relations filiales seraient inutiles dans l’Au-delà, excepté celles de son foyer. Bien que le Prophète ait tenu la main d’Omar maintes fois et dit : « Nous serons comme ceci (en joignant les deux mains) dans l’Au-delà aussi », Omar désirait toujours une alliance familiale. Il essaya de réaliser ce voeu en montrant sa volonté d’épouser Fatima, mais elle n’acceptait qu’Ali comme époux. Alors il maria sa fille Hafsa au Prophète, et vers les dernières années de son califat, il épousa la fille d’Ali, Oumm Koulthoum. S’il l’avait souhaité, il aurait pu épouser la fille d’un roi voisin. Mais il préférait être allié au foyer du Prophète.
Une fois Hafsa dit à Omar : « Mon cher père, de temps en temps des envoyés étrangers viennent et tu reçois des ambassadeurs. Tu devrais changer ton vêtement pour un neuf. » Omar fut choqué par cette suggestion et répondit : « Comment pourrais-je supporter de me séparer de mes deux amis, le Prophète et Abou Bakr? Je dois suivre leur exemple le plus strictement possible afin d’être avec eux dans l’Au-delà. »
Le Messager et ses Compagnons triomphèrent au grand djihad ; leur dévotion à Dieu était très forte. Ils passaient tellement de temps en prière que ceux qui les voyaient croyaient qu’ils ne faisaient rien d’autre. Mais ce n’était pas le cas, car ils menaient des vies parfaitement équilibrées.
Ils étaient très sincères dans leurs oeuvres, puisqu’ils faisaient tout pour Dieu et se disciplinaient constamment. Un jour, alors qu’il donnait un sermon, Omar dit soudain et sans aucune raison apparente : « Ô Omar, tu étais un berger pâturant les moutons de ton père. » Après la prière, quand on lui demanda pourquoi il avait dit cela, il répondit : « Il me vint à l’esprit que j’étais le calife, alors j’ai eu peur d’en être fier. » Un jour, on le vit transporter un sac sur son dos. Quand on lui demanda pourquoi il faisait cela, il répondit : « J’ai senti de la fierté en moi, alors j’ai voulu m’en débarrasser. » Un calife ultérieur, Omar Ibn Abd al-Aziz, écrivit une lettre à un ami puis la déchira. Quand on lui demanda pourquoi, il répondit : « Je me suis vanté de mon éloquence, alors je l’ai déchirée. »
Seul le djihad exécuté par de telles âmes parfaites produit des résultats efficaces. Ceux qui n’ont pas abandonné la fierté, le moi charnel, la prétention et l’hypocrisie endommageront grandement la cause de l’islam. Je voudrais souligner que de telles personnes n’obtiendront jamais le résultat souhaité.
Certains versets ou chapitres coraniques décrivent les deux types de djihad. L’un d’eux est : Lorsque vient le secours de Dieu ainsi que la victoire, et que tu vois les gens entrer en foule dans la religion de Dieu, alors, par la louange, célèbre la gloire de ton Seigneur et implore Son pardon. Car c’est Lui le grand Accueillant au repentir. (110 : 1-3) Quand les croyants firent le petit djihad en combattant, en prêchant ou en recommandant le bien et interdisant le mal, l’aide et la victoire de Dieu vinrent, et les gens commencèrent à entrer en masses en islam. À ce moment là, le Tout-Puissant décréta que Ses éloges devraient être célébrées et Son pardon imploré. Puisque tous les succès et les victoires proviennent de Dieu, Il doit être loué et adoré.
Si nous pouvons allier notre triomphe contre l’ennemi avec notre triomphe contre notre moi charnel, nous aurons fait le djihad complet. Aïcha relate qu’après la révélation de ces versets, le Messager récita souvent cette prière : « Je Te glorifie avec l’éloge, ô Dieu. J’implore Ton pardon, et je reviens à Toi repentant. »[104]
Le Prophète exprime ensemble ces deux aspects du djihad : « Les yeux de deux personnes ne verront jamais l’Enfer : les yeux du soldat qui monte la garde de la frontière et du champ de bataille, et les yeux de celui qui verse des larmes par crainte de Dieu. »[105] La première personne est engagée dans le petit djihad, la seconde dans le grand djihad. Ceux qui réussissent leur djihad seront sauvés du châtiment de l’Enfer.
Nous devons considérer le djihad dans sa totalité. Ceux qui n’appliquent pas ce qu’ils prêchent n’apportent rien que des problèmes parmi les rangs des musulmans. Puisqu’ils ne peuvent pas se discipliner et surmonter leur prétention, leur ostentation et leur désir de dominer, ils n’apportent que le chaos à la cause de l’islam. D’autre part, ceux qui vivent en retrait de la société, dans un isolement presque total et essaient d’atteindre un rang spirituel élevé sans travailler pour promouvoir la vérité, réduisent simplement l’islam à un système « spirituel », comme certains aspects du yoga. Ces personnes avancent que le premier devoir du musulman est d’acquérir la maturité spirituelle afin d’être sauvé de l’Enfer. Ce qu’ils ne réalisent pas est que ceux qui se considèrent si sûrs de leur salut sont déçus, car Dieu décrète que nous devons continuer à Le servir aussi longtemps que nous vivons : Et adore ton Seigneur jusqu’à ce que te vienne l’inévitable (la mort). (15 : 99)
Les musulmans ne doivent jamais se considérer sauvés des tourments de l’Enfer ni désespérer de la grâce et du pardon de Dieu. Ils doivent trembler par crainte de Dieu comme le faisait Omar. Cependant, cette crainte ne doit pas les empêcher d’espérer entrer au Paradis : Et pour celui qui aura craint de comparaître devant son Seigneur, il y aura deux Jardins. (55 : 46)
En bref, le djihad consiste en la maîtrise de soi et la prédication de la vérité. Il exige de surmonter les désirs charnels et d’encourager les autres à faire de même. Négliger ce premier engendre l’anarchie sociale, et négliger ce dernier provoque la paresse. Aujourd’hui, nous devons parvenir à une vraie compréhension de l’islam en général, et du djihad en particulier. Le seul moyen de réaliser cela est de suivre strictement la Sounna du Prophète.
[87] Tirmidhi, Faddail al-Jihad, 12.
[88] Mouslim, Imara, 163 ; Ibn Maja, Jihad, 7.
[89] Kachf al-Khafa, 1 : 424.
[90] Imam Rabbani, Maktoubat, 1 : 157.
[91] Mouslim, Munafiq, 38.
[92] Boukhari, Tafsir : Ghafir, 40 ; ibid. Fadhail Ashab an-Nabi,5.
[93] Boukhari, Kafala, 4.
[94] Kachf al Khafa, 1 : 424.
[95] Ibn Hanbal, Mousnad, 3 : 344, 359.
[96] Boukhari, Jihad, 52, 6.
[97] Boukhari, Tahajjoud, 6.
[98] Cet incident eut lieu durant l’émigration du Prophète de La Mecque à Médine. Boukhari, Manaqib al-Mouhajirin et Fadhailihim, 2.
[99] Boukhari, Fadhail al-Qur’an, 32, 33, 35.
[100] Boukhari, Daawat, 3.
[101] Ibn Kathir, Tafsir : Al-’imran, 190.
[102] Mouslim, Salat, 22 ; Haythami, Majma’ az-Zawaïd, 10, 124 ; Tirmidhi, Daawat, 81.
[103v Boukhari, Adab : 96 ; Mouslim, Birr, 1 : 650.
[104] Tirmidhi, Daawat, 81.
[105] Tirmidhi, Fadhail as-Sahaba : Jihad, 12.
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