Les Batailles
À mesure que les forces musulmanes se renforçaient à Médine, les Qoraïchites s'inquiétaient de plus en plus de l'éventuelle menace que cela impliquait sur leur route marchande vers la Syrie. Dans une lettre adressée à Abd Allah ibn Ubayy ibn Salul, les Qoraïchites menacèrent de tuer tous les hommes de Médine et d'asservir leurs femmes à moins qu'ils n'expulsent le Messager. Le Prophète mit fin à cela juste au bon moment, et Ibn Ubayy ne poursuivit pas l'affaire. Puis, quand Sa'd ibn Mu'adh se rendit à La Mecque pour accomplir le petit pèlerinage ('umra), il fut arrêté à l'entrée de la Ka'ba et empêché d'effectuer les tournées rituelles. Les Mecquois envoyaient aussi régulièrement des troupes de reconnaissance.
La Bataille de Badr
En raison de tels incidents, les musulmans devaient étendre leur contrôle sur la route marchande syrienne pour forcer les Qoraïchites et d'autres tribus hostiles à revoir leurs positions. Il était aussi temps pour le Prophète de montrer aux forces déployées contre lui que la prédication de l'islam ne saurait être arrêtée ni éradiquée du cœur de ses adhérents, et que le polythéisme et l'incroyance capituleront devant l'islam.
Au début de 624, une grande caravane qoraïchite partie de Syrie en route pour La Mecque, et escortée par une quarantaine de gardes de sécurité, arriva à un endroit à portée des musulmans. Elle contenait des marchandises qui avaient été achetées avec les biens des Émigrés. Naturellement, Abou Soufyan, le chef de la caravane, craignait une tentative musulmane de récupération des biens spoliés. Il envoya donc un messager à La Mecque pour demander de l'aide et des renforts.
Cela provoqua un tollé à travers toute La Mecque. Les notables qoraïchites décidèrent de se battre contre le Prophète. Environ 1000 combattants quittèrent La Mecque en grande pompe afin d'écraser la puissance montante musulmane. Ils voulaient aussi, comme d'habitude, terroriser les tribus voisines pour assurer la sécurité de l'acheminement de leur caravane marchande.
Le Messager, continuellement informé des développements qui pouvaient affecter sa mission, réalisa que si une démarche effective n'était pas menée dans l'immédiat, la prédication de l'islam pourrait souffrir un coup fatal. Si les Qoraïchites avaient pris l'initiative et lancé une attaque contre Médine, la petite communauté musulmane de la ville aurait pu périr. Même s'ils se contentaient d'escorter leur caravane jusqu'à La Mecque avec leurs forces armées, le prestige politique et militaire des musulmans aurait été sapé. Et si cela arrivait, leurs vies, leurs biens et leur honneur seraient en danger.
Décidant d'utiliser les ressources qu'il avait à sa disposition, le Prophète quitta Médine. Il aurait probablement préféré une bataille décisive contre les Qoraïchites, mais les musulmans voulaient capturer la caravane et récupérer leurs biens. Le Prophète rassembla donc les gens et leur dit que la caravane marchande qoraïchite était dans le nord et que l'armée d'invasion était dans le sud et se dirigeait vers Médine. Il les informa aussi que Dieu avait promis qu'ils pourraient s'emparer de l'un des deux. C'était à eux qu'il revenait de choisir laquelle des cibles ils devraient attaquer.
Conscient des intentions du Prophète, un Emigrant nommé Miqdad ibn Amr répondit:
«Ô Messager de Dieu, agis comme Dieu te l'a ordonné. Nous ne dirons pas, comme les Enfants d'Israël ont dit à Moïse: 'Va, toi et ton Maître, et combattez. Nous resterons assis ici.' Nous disons plutôt: 'Va, toi et ton Maître, et combattez. Nous nous battrons à tes côtés où que tu ailles, même aussi loin que Bark al-Ghimad.'»[1]
Jusqu'à la Bataille de Badr, le Messager n'avait pas demandé d'aide militaire aux Ansars. C'était la première fois qu'ils allaient prouver leur engagement pour l'islam. Sans s'adresser directement à eux, le Messager suggéra à nouveau les deux alternatives à son audience. Comprenant ce que le Messager était en train de faire, un Ansar appelé Sa'd ibn Mu'adh, le leader de la tribu des Aws, se leva et dit:
Ô Messager de Dieu, je crois que ta question s'adresse aux Ansars. Nous croyons en toi, affirmons que tu es le Messager de Dieu, et attestons la véracité de tes enseignements. Nous t'avons juré allégeance, juré que nous te suivrions et t'obéirions. Ô Messager de Dieu, fais comme tu le veux! Par Celui qui t'a envoyé avec la vérité, si tu devais nous emmener à la mer et y plonger, aucun de nous ne resterait derrière. Alors prends-nous à tes côtés dans les champs de bataille avec la bénédiction de Dieu.[2]
La décision de combattre fut prise. Tel était aussi le décret divin, comme susmentionné.
L'armée mecquoise consistait en 1000 combattants, qui comprenaient 600 soldats en cottes de mailles et 200 cavaliers, et étaient accompagnés de chanteurs et de danseurs. La danse et la consommation d'alcool étaient de mise lors de chaque halte. Les soldats arrogants vantaient leur puissance militaire, leur supériorité en nombre et leur invincibilité à tous les villages et les tribus qu'ils rencontraient en chemin.[3] Pire encore, ils ne se battaient non pas pour une noble cause, mais au contraire pour vaincre les forces de la foi, de la vérité, de la justice et de la bonne moralité.
L'armée musulmane comptait 313 combattants: 86 Émigrés et 227 Ansars. Seuls un ou deux musulmans étaient à cheval car ils avaient peu de moyens. Comme il n'y avait que 70 chameaux, trois ou quatre personnes montaient à tour de rôle sur un chameau. Le Messager attendait son tour avec deux autres musulmans. Quand ils lui demandèrent de toujours monter le chameau sans leur accorder leurs tours, le Messager répondit: «Vous n'êtes pas plus forts que moi. Et quant à la récompense, j'en ai besoin tout autant que vous.»[4]
Les soldats musulmans étaient entièrement dévoués et prêts à mourir pour l'islam. Pour accomplir ce qu'Il avait décrété, Dieu fit que le Messager vit en rêve que les troupes mecquoises étaient peu nombreuses, tout comme Il fit paraître le nombre des musulmans plus petit qu'il ne l'était aux yeux des Mecquois. (8:44)
Etant les premiers à atteindre le champ de bataille, ils se positionnèrent autour des puits. Ils profitèrent aussi des pluies abondantes de la nuit précédente pour stocker de grandes quantités d'eau. La pluie avait rendu le sable compact dans la haute partie de la vallée sur laquelle ils avaient installé leurs tentes. Cela leur permettait de marcher d'un pas ferme sur la terre compacte et de se déplacer plus facilement. Or dans la partie basse de la vallée, là où l'armée qoraïchite s'était postée, le sol était marécageux. En plus de ces faveurs divines, Dieu enveloppa les musulmans de somnolence et leur donna un sentiment de paix et de sécurité. (8:11)
Les deux armées se firent face à Badr. Les Mecquois surpassaient les musulmans en nombre par trois contre un, et étaient beaucoup mieux équipés. Toutefois, les musulmans se battaient pour une cause ô combien plus sublime: établir la religion de Dieu, basée sur la croyance, la bonne moralité et la justice. Profondément convaincus de la vérité de l'islam et désireux de mourir pour cela, ils étaient prêts pour le combat.
À partir de leur camp, l'armée musulmane pouvait voir tout le champ de bataille. Elle était divisée en trois parties: le centre et les deux flancs. La force centrale se composait des grandes personnalités de parmi les Émigrés et les Ansars qui étaient les plus dévoués au Messager. Mus'ab ibn Umayr, un membre de l'une des familles les plus riches de La Mecque qui avait embrassé l'islam dans sa jeunesse, portait la bannière du Messager. Il était si beau que lorsqu'il sortait vêtu de soie, avant sa conversion, les jeunes filles mecquoises l'admiraient de leurs fenêtres. Mais une fois devenu musulman, il suivit le Messager de tout son cœur. Il sacrifia tout ce qu'il avait sur le sentier de Dieu et tomba martyr à Ouhoud, bataille durant laquelle il portait aussi la bannière du Prophète. Quand il perdit son bras droit, il prit la bannière dans sa main gauche; quand il perdit son bras gauche, il ne lui restait plus qu'une «tête» pour protéger le Messager, devant lequel il finit par mourir en martyr.[5]
Les flancs étaient commandés par Ali et Sa'd ibn Mu'adh. Ali était connu pour son grand courage et sa sincère dévotion au Messager. Il n'avait que 9 ou 10 ans quand il dit au Prophète: «Moi, je t'aiderai», après que le Messager avait rassemblé ses proches parents au tout début de sa mission pour qu'ils se convertissent et le soutiennent.[6] La nuit de l'Emigration du Prophète, Ali avait dormi dans le lit du Prophète afin qu'il puisse quitter La Mecque en toute sécurité.[7] Au moment où les hommes qui avaient encerclé sa maison avaient découvert cette ruse, le Messager était déjà parvenu à la cave de Thawr. Ali était totalement dévoué à la cause de Dieu.
Le Messager prit toutes les précautions nécessaires et fit les meilleurs préparatifs possibles. Il mobilisa ses ressources et choisit les meilleurs et les plus qualifiés de ses hommes en tant que commandants. Il posta son armée sur la haute partie de la vallée. Puis il installa sa tente là où il pouvait voir l'ensemble du champ de bataille et d'où il pouvait directement transmettre ses ordres. Et pour remplir la condition requise finale, il pria avec une sincérité et une humilité des plus profondes:
«Ô Dieu, voici les Qoraïchites qui, dans leur vanité, cherchent à réfuter et à calomnier Ton Messager. Ô Dieu, soutiens-nous avec l'aide que Tu m'as promise. Ô Dieu, si ce petit groupe de musulmans venait à périr, il ne resterait plus personne sur terre pour T'adorer.»[8]
Après cette prière, sur ordre de l'ange Gabriel, il lança une poignée de sable en direction de l'ennemi et il ne resta aucun païen qui n'ait reçu de sable dans les yeux, les narines et la bouche.[9]
Badr fut une grande épreuve pour les musulmans. Ils allaient soit gagner soit tomber martyrs, car ils avaient reçu l'ordre de ne pas fuir. Ils avaient le droit de battre en retraite méthodiquement sous la pression insoutenable des ennemis, comme une tactique de combat pour chercher des renforts ou pour se rallier à un autre groupe des arrières (8:16), mais pas à cause de lâcheté ou de défaitisme. Une telle fuite non stratégique révèlerait qu'ils préféraient leurs vies à l'islam - un péché capital.
La Bataille Commence
Sur la ligne de front des Qoraïchites se trouvaient Utba ibn Rabi'a, son frère Shayba et son fils Walid. Ils défièrent les musulmans pour un combat singulier. Trois jeunes Ansars se présentèrent. «Nous ne nous battrons pas, nous voulons nous battre avec nos cousins!», cria Utba avec arrogance. En fait, le Messager s'était attendu à une telle réaction. Il ordonna à Ali, Hamza et Ubayda ibn Harith de s'avancer pour le combat singulier. Hamza se battit et tua Utba, et Ali tua Walid en deux coups. Ubayda, qui était âgé, combattit Shayba et fut blessé à la jambe. Hamza et Ali le sauvèrent, tuèrent Shayba et portèrent Ubayda au loin.[10]
Les Qoraïchites furent démoralisés par un tel commencement. La foi, la sincérité et la bravoure des musulmans leur valut l'aide divine. Les Qoraïchites, qui s'étaient réjoui de leur supériorité en nombre et en armement, furent soumis à une défaite écrasante par des musulmans sous-équipés. 70 Qoraïchites furent tués. Awf et Mu'awwidh, deux jeunes frères Ansars, se joignirent à Abd Allah ibn Mas'ud pour tuer Abou Jahl, que le Messager appelait le «Pharaon de la Communauté Musulmane».[11] Presque tous les leaders qoraïchites furent tués: Abou Jahl, Walid ibn Mughira, Utba ibn Rabi'a, As ibn Sa'id, Umayyah ibn Khalaf et Nawfal ibn Khuwaylid. Avant la bataille, le Messager avait prédit et indiqué les lieux où ils allaient mourir, en disant: «Utba sera tué ici; Abou Jahl là, Umayyah ibn Khalaf là» et ainsi de suite.[12]
70 Qoraïchites furent capturés. Dieu autorisa les musulmans à demander une rançon pour leur libération, et certains furent donc libérés. Quant à ceux qui savaient lire et écrire, il leur suffisait d'enseigner leurs connaissances aux musulmans illettrés pour être libérés. Cette politique avait plusieurs avantages: les captifs qui s'attendaient à être exécutés acceptèrent volontiers de payer une rançon; le bas niveau d'alphabétisme de Médine put être relevé, rendant ainsi les nouveaux musulmans alphabètes plus efficaces et plus utiles; les captifs lettrés eurent ainsi la possibilité de connaître l'islam de près et d'être en contact avec des musulmans, ce qui allait rapprocher plus de gens à l'islam; et les familles et les proches des captifs étaient si heureux de revoir les membres de leurs familles qu'ils croyaient morts qu'ils devinrent beaucoup plus réceptifs à l'islam.
Cette victoire décisive fit de l'islam une force qu'il fallait désormais prendre en compte à travers toute l'Arabie, et beaucoup de cœurs endurcis devinrent enclins à accepter l'islam.
La Bataille d'Ouhoud
La victoire de Badr alerta les forces hostiles de la péninsule. Les musulmans tombèrent dans une situation délicate et durent endurer la colère de la plupart des communautés voisines.
Les tribus juives de Médine n'avaient guère envie d'honorer leurs accords conclus avec le Messager après l'hégire. Pendant la Bataille de Badr, ils soutinrent les polythéistes. Ensuite, ils encouragèrent ouvertement les Qoraïchites et les autres tribus arabes à s'unir contre les musulmans. Ils collaborèrent également avec les Hypocrites qui formaient apparemment une partie intégrante du corps politique musulman.
Pour faire avorter l'expansion de l'islam, ils se mirent à attiser les flammes des anciennes animosités entre les Aws et les Khazraj, les deux tribus des musulmans médinois. Ka'b ibn Ashraf, le chef des Banu Nadhir, alla à La Mecque et récita d'émouvantes élégies pour les Mecquois tués à Badr afin de provoquer les Qoraïchites vers de nouvelles hostilités. Il calomnia aussi les musulmans et fit la satire du Messager dans ses poèmes.
La violation des tribus juives des obligations de leur traité dépassa toutes les limites du raisonnable. Quelques mois après Badr, une femme musulmane fut traitée indécemment par quelques juifs de Banu Qaynuqa, la tribu juive la plus anti-musulmane. Durant la querelle qui s'ensuivit, un musulman tomba martyr et un juif fut tué. Quand le Messager leur reprocha leur conduite honteuse et leur rappela les obligations du traité, les juifs le menacèrent: «Détrompe-toi de ta confrontation avec un peuple qui ne connaît rien à la guerre. Tu as eu de la chance. Par Dieu, si nous te combattons, tu sauras que nous, nous sommes des hommes de guerre.»
Finalement, le Messager attaqua les Banu Qaynuqa, les vainquit et les bannit de la banlieue de Médine. De plus, sur ordre du Messager, Muhammad ibn Maslama tua Ka'b ibn Ashraf et mit ainsi un terme à ses intrigues séditieuses.[13]
Les Raisons de la Bataille
Les Qoraïchites souffraient encore de l'humiliation de la défaite de la Bataille de Badr. Leurs femmes pleuraient les guerriers morts presque tous les jours et encourageaient les survivants à les venger. En outre, les efforts des juifs pour raviver leurs sentiments de vengeance agissaient comme de l'huile sur du feu. Pas plus d'un an plus tard, les Qoraïchites attaquèrent Médine avec une armée de 3000 soldats comprenant entre autres 700 hommes en cuirasse et 200 cavaliers.
Informé par la marche des Mecquois sur Médine, le Messager consulta ses Compagnons pour décider de la manière de faire face à cette menace. Il avait rêvé qu'il était en cuirasse avec son épée ébréchée, et qu'on abattait des vaches. Il interpréta cela par le fait qu'ils devraient se défendre à l'intérieur des frontières de Médine et qu'un membre influant de parmi ses parents, avec quelques Compagnons, tomberaient martyrs.[14] Il savait aussi que l'armée mecquoise venait se battre sur terrain ouvert. Ainsi, si les musulmans se défendaient à l'intérieur de Médine, l'armée mecquoise ne pourrait pas monter un long siège. Il souligna une fois de plus que les musulmans représentaient la paix et la sécurité, et qu'ils ne devaient recourir à la force que pour éliminer un obstacle à la prédication de l'islam ou pour se défendre eux-mêmes, ou protéger leur foi et leur pays.
Cependant, plusieurs jeunes aspiraient au martyre. Peinés de ne pas s'être battus à Badr, ils voulaient maintenant combattre l'ennemi en dehors de Médine. À la fin, le Messager céda à la demande de la majorité. Quand ces jeunes se repentirent, suite aux avertissements de leurs aînés concernant leur insistance, et que ces aînés en informèrent le Messager, celui-ci répondit: «Il ne sied pas à un Prophète de retirer sa cotte de mailles après l'avoir mise.»[15]
Ayant décidé de suivre la majorité, le Messager et 1000 guerriers quittèrent Médine pour Ouhoud, un mont situé à seulement quelques kilomètres de la banlieue ouest de la ville. La principale caractéristique de ce mont est qu'une vaste plaine s'étendait devant lui. Or, quand ils furent arrivés à mi-chemin, Abd Allah ibn Ubayy ibn Salul rebroussa chemin avec ses 300 hommes.[16] Cet événement, survenant juste avant le début de la bataille, provoqua une perpléxité et une confusion telles que les tribus de Banu Salama et de Banu Haritha voulurent aussi suivre son exemple. Finalement, on réussit à les persuader de rester.
Le Messager avança avec les 700 musulmans restants. Il les aligna au pied du Mont Ouhoud de façon à ce que le mont fût derrière eux et l'armée qoraïchite en face d'eux. L'ennemi ne pouvait lancer une attaque surprise que par un col de la montagne. Le Messager y posta donc 50 archers sous le commandement de Abd Allah ibn Jubayr. Il lui dit de ne laisser personne s'approcher ni s'éloigner de cet endroit, en ajoutant: «Quand bien même vous verriez des oiseaux s'envoler avec notre chair, ne bougez pas de cet endroit.»[17]
Mus'ab ibn Umayr était celui qui portait la bannière, Zubayr ibn Awwam commandait la cavalerie et Hamza l'infanterie. L'armée était prête pour le combat. Pour encourager ses Compagnons, le Prophète apporta une épée et demanda: «Aimeriez-vous avoir cette épée en en payant le prix?» Abou Dujana demanda: «Qu'est-ce que son prix?» Le Prophète répondit: «C'est se battre avec jusqu'à ce qu'elle se casse». Abou Dujana la prit et combattit.[18]
Sa'd ibn Abi Waqqas et Abd Allah ibn Jahsh prièrent Dieu afin qu'Il les confronte aux soldats ennemis les plus forts. Hamza, l'oncle du Prophète surnommé «le Lion de Dieu», portait une plume d'autruche sur sa poitrine. Les versets révélés pour décrire les personnes pieuses entourant les Prophètes précédents fait aussi référence à eux:
Combien de disciples ont combattu en compagnie de prophètes, ceux-ci ne fléchirent pas à cause de ce qui les atteignit dans le sentier de Dieu. Ils ne faiblirent pas et ils ne cédèrent point. Et Dieu aime les endurants. Et ils n'eurent que cette parole: "Seigneur, pardonne-nous nos péchés ainsi que nos excès dans nos comportements, affermis nos pas et donne-nous la victoire sur les gens mécréants". Dieu, donc, leur donna la récompense d'ici-bas, ainsi que la belle récompense de l'au-delà. Et Dieu aime les gens bienfaisants. (3:146-48)
Dans un premier temps, les musulmans triomphèrent de l'ennemi si facilement qu'Abou Dujana, avec l'épée que le Prophète lui avait donnée, parvint à s'introduire au centre de l'armée qoraïchite. Là il rencontra une personne qui encourageait les païens à combattre. Il était sur le point de la tuer quand il decouvrit que c'était une femme (Hind, l'épouse d'Abou Soufyan, le commandant qoraïshite). Alors il écarta d'elle son épée et l'épargna.[19] Ali tua Talha ibn Abi Talha, le porte-étendard ennemi. Tous ceux qui portèrent la bannière ennemie furent tués par Ali, Asim ibn Thabit ou Zubayr ibn Awwam. Suite à cela, des héros musulmans prêts à se sacrifier tels que Hamza, Ali, Abou Dujana, Zubayr et Miqdad ibn Amr se jetèrent sur l'ennemi et les mirent en déroute.
Quand l'ennemi commença à s'enfuir, les musulmans se mirent à ramasser le butin. Les archers du col de la montagne qui virent cela se dirent: «Dieu a vaincu l'ennemi et nos frères s'emparent du butin. Rejoignons-les.» Abd Allah ibn Jubayr leur rappela l'ordre du Prophète mais ils rétorquèrent: «Il nous a ordonné cela sans connaître l'issue de la bataille.» La majorité quittèrent leurs postes et se mirent en quête du butin. Khalid ibn Walid, qui n'avait pas encore accepté l'islam et qui était alors le commandant de la cavalerie ennemie, saisit cette opportunité pour mener ses hommes autour du Mont Ouhoud et attaquer l'arrière des musulmans à travers le col. Les effectifs réduits de Abd Allah ibn Jubayr ne suffirent pas à les repousser.
Les soldats ennemis qui s'enfuyaient revinrent à l'assaut et attaquèrent par devant. Désormais, la bataille tournait à l'avantage de l'ennemi. Ces deux attaques surprises par des forces supérieures entraînèrent une grande confusion parmi les musulmans. L'ennemi voulait attrapper le Messager vivant ou bien le tuer, et l'attaquèrent donc de tous côtés avec leurs épées, leurs lances, leurs flèches et leurs pierres. Ceux qui le défendaient se battirent héroïquement.
Hind, ayant perdu son père et ses frères à Badr, poussa Wahshi, un esclave noir, à tuer Hamza. Face au revers, Hamza se battait comme un lion féroce. Il avait tué presque 30 ennemis quand la lance de Wahshi le transperça juste au-dessus de la cuisse. Hind s'avança et lui ordonna d'éventrer Hamza; après quoi elle mutila son corps et mâcha son foie.[20]
Ibn Kami'a martyrisa Mus'ab ibn Umayr, le porte-étendard musulman qui se battait devant lui. Mus'ab ressemblait dans sa stature et son teint au Messager, ce qui amena Ibn Kami'a à annoncer qu'il avait tué le Messager. Pendant ce temps, le Messager avait été blessé par une épée et par des pierres. Tombant dans un fossé et saignant profusément, il ouvrit ses mains et pria: «Ô Dieu, pardonne mon peuple, car ils ne savent pas (la vérité).»[21]
La rumeur concernant le martyre du Prophète poussa plusieurs Compagnons à perdre courage. En plus de ceux comme Ali, Abou Dujana, Sahl ibn Hunayf, Talha ibn Ubaydullah, Anas ibn Nadr et Abd Allah ibn Jahsh, qui se battaient en étant prêts au martyre, des femmes musulmanes entendirent la rumeur et accoururent sur le champ de bataille. Sumayra, de la tribu des Banu Dinar, avait beau avoir perdu son mari, son père et son frère, elle ne s'enquérissait que du Messager. Quand elle le vit, elle dit: «Tous les malheurs sont insgnifiants pour moi, tant que tu es en vie, ô Messager!»[22]
Umm Umara se battit devant le Messager si héroïquement qu'il lui demanda: «Qui d'autre peut endurer tout ce que tu endures?» Cette femme exemplaire saisit cette opportunité pour lui demander de prier pour elle: «Ô Messager de Dieu, prie Dieu pour que je sois en ta compagnie au Paradis!» Ainsi fit le Messager, et elle répondit: «Tout ce qui pourra m'arriver à partir de maintenant n'a aucune importance.»[23]
Anas ibn Nadhr entendit que le Messager était tombé martyr. Il se battit si vaillamment qu'il reçut plus de 80 coups.[24] Ils trouvèrent Sa'd ibn Rabi' mourant avec 70 blessures sur le corps. Ses derniers mots furent: «Transmettez mon salut au Messager. Je sens le parfum du Paradis au delà d'Ouhoud.»[25] Aux côtés d'Abou Dujana et de Sahl ibn Hunayf se trouvait aussi Ali qui se tenait devant le Messager et le défendait. Par trois fois, le Messager montra des ennemis qui s'avançaient vers eux et à chaque fois, Ali les attaqua et les mit en déroute.[26]
En dépit de la résistance indescriptible des guerriers musulmans autour du Messager, la défaite semblait inévitable jusqu'à ce que Ka'b ibn Malik, voyant le Messager, s'écria: «Ô musulmans! Bonnes nouvelles pour vous! Voici le Messager, ici!» Les Compagnons éparpillés de tous côtés avancèrent vers lui, lui vinrent en aide et le menèrent vers un lieu sûr de la montagne.
Les Raisons du Revers à Ouhoud
Avant d'expliquer les raisons de l'échec, il faut souligner qu'après les Prophètes, les Compagnons sont supérieurs en vertu à tous les autres hommes. Ils sont honorés par le fait d'être les camarades et les disciples du Prophète Mohammed, le meilleur de la création, celui pour l'amour duquel l'univers a été créé et qui fut envoyé comme une miséricorde pour tous les mondes. Par conséquent, selon la règle qui dit que «plus grande est la bénédiction, plus lourde est la responsabilité», ils se devaient d'être les plus obéissants envers Dieu et Son Messager.
Nous lisons, par exemple, Ô femmes du Prophète! Celle d'entre vous qui commettra une turpitude prouvée, le châtiment lui sera doublé par deux fois! Et ceci est facile pour Dieu. Et celle d'entre vous qui est entièrement soumise à Dieu et à Son messager et qui fait le bien, Nous lui accorderons deux fois sa récompense, et Nous avons préparé pour elle une généreuse attribution. Ô femmes du Prophète! Vous n'êtes comparables à aucune autre femme. (33:30, 32) Dans le même esprit, même le plus petit péché commis par un Compagnon mériterait un châtiment sévère. Les Compagnons font tous partie de ceux qui ont «la foi la plus forte et qui sont les plus proches de Dieu»; leur conduite est un exemple à suivre par les générations suivantes. Ils doivent donc être purs dans leur croyance et leurs intentions, sincères dans l'adoration et la dévotion, droits dans leur comportement, et extrêmement prudent de façon à ne commettre ni péché ni désobéissance.
Dieu éleva la communauté de Mohammed pour en faire la meilleure communauté qu'on ait fait surgir pour les hommes (et qui) ordonne le convenable, interdit le blâmable et croit en Dieu Seul (3:110) et la désigna comme une communauté de justes pour que vous soyez témoins aux gens, comme le Messager sera témoin à vous. (2:143) Durant les premières années de l'ère médinoise, les Compagnons comprenaient des vrais croyants et des Hypocrites. Par conséquent, Dieu voulut distinguer Ses vrais témoins de toute l'humanité et voir qui d'entre eux luttaient vraiment sur Son Chemin et restaient endurants. (3:141-42) La Bataille d'Ouhoud fut donc un test décisif pour passer au tamis les musulmans et ainsi distinguer les sincères et les endurants des Hypocrites et des indécis, et par là même rendre la communauté islamique plus stable et plus redoutable.
Après ces quelques notes préliminaires, nous pouvons résumer comme suit les raisons du revers subi par les musulmans:
- • Le Messager, commandant en chef, était d'avis qu'il valait mieux rester à Médine. Les Compagnons plus jeunes, enthousiastes et inexpérimentés, le poussèrent à livrer bataille en dehors de la ville. Cela était une grave erreur, même si ce devait être pour l'amour du martyre sur le sentier de Dieu, puisque le Messager était enclin à appliquer une différente stratégie de combat et savait d'avance que l'armée qoraïchite venait se battre sur terrain ouvert.
- • Les archers postés pour défendre l'armée quittèrent leurs positions. Ils interprétèrent mal l'ordre donné par le Messager de rester à leurs places coûte que coûte, et ils allèrent ramasser le butin.
- • 300 Hypocrites, c'est-à-dire un tiers de l'armée, désertèrent à mi-chemin et retournèrent à Médine. Cela sapa le moral des tribus de Banu Salama et de Banu Haritha qui furent difficilement persuadées de rester. En outre, un petit groupe d'Hypocrites démoralisa les musulmans pendant la bataille.
- • Plusieurs Compagnons devinrent impatients. Ils agirent, à certains égards, en contradiction avec les préceptes de la piété et furent attirés par la richesse matérielle.
- • Certains croyants pensaient que tant que le Messager était avec eux et qu'ils jouissaient du soutien et de l'aide de Dieu, les incroyants ne pourraient jamais les battre. Certes, tout cela était vrai, mais le revers leur enseigna que mériter l'aide de Dieu requiert, en plus de la foi et de la dévotion, la délibération, la stratégie et l'endurance. Ils s'aperçurent aussi que le monde était un lieu d'examen et d'épreuves:
Avant vous, certes, beaucoup d'événements se sont passés. Or, parcourez la terre, et voyez ce qu'il est advenu de ceux qui traitaient (les Prophètes) de menteurs. Voilà un exposé pour les gens, un guide, et une exhortation pour les pieux. Ne vous laissez pas abattre, ne vous affligez pas alors que vous êtes les supérieurs, si vous êtes de vrais croyants. Si une blessure vous atteint, pareille blessure atteint aussi l'ennemi. Ainsi faisons-Nous alterner les jours (bons et mauvais) parmi les gens, afin que Dieu reconnaisse ceux qui ont cru, et qu'Il choisisse parmi vous des témoins - et Dieu n'aime pas les injustes. Et afin que Dieu purifie ceux qui ont cru, et anéantisse les mécréants. (3:137-41)
- • Ceux qui n'avaient pas pris part à la Bataille de Badr priaient sincèrement Dieu pour obtenir le martyre. Ils étaient entièrement dévoués à l'islam et aspiraient à la rencontre de Dieu. Certains, comme Abd Allah ibn Jahsh, Anas ibn Nadhr, Sa'd ibn Rabi', Amr ibn Jamuh et Abou Sa'd Haysama, goûtèrent au plaisir du martyre; pour d'autres, cet instant fut repoussé. Le Coran chante leurs louanges comme suit:
Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Dieu. Certains d'entre eux ont atteint leur fin, et d'autres attendent encore; et ils n'ont varié aucunement (dans leur engagement). (33:23)
- • Tout succès est accordé par Dieu, qui fait ce qu'Il veut et ne peut être contesté. La croyance en l'unité divine signifie que les croyants doivent toujours attribuer leurs réussites à Dieu et ne jamais s'approprier un quelconque bien. Si jamais la victoire décisive à Badr donna une certaine fierté à quelques musulmans et ils attribuèrent la victoire à leur propre prudence, sagesse ou à des causes matérielles, cela aurait été l'une des raisons de leur échec.
- • Parmi l'armée qoraïchite se trouvaient quelques éminents soldats et commandants (comme Khalid ibn Walid, Ikrima ibn Abi Jahl, Amr ibn al-As et Ibn Hisham) qui étaient destinés par Dieu à devenir plus tard de grands serviteurs de l'islam. Ils étaient les plus estimés et les plus respectés parmi leur peuple. Par égard pour leur futur service, Dieu n'a peut-être pas souhaité briser complètement leurs sentiments d'honneur. Ainsi, comme l'exprime Bediuzzaman Said Nursi, les Compagnons du futur vainquirent les Compagnons du présent.[27]
- • Les versets suivants expliquent les raisons de ce revers et son contrecoup, et les leçons à en retirer:
Comptez-vous entrer au Paradis sans que Dieu ne distingue parmi vous ceux qui luttent et qui sont endurants? (3:142)
Mohammed n'est qu'un messager - des messagers avant lui sont passés - S'il mourait, donc, ou s'il était tué, retourneriez-vous sur vos talons? Quiconque retourne sur ses talons ne nuira en rien à Dieu; et Dieu récompensera bientôt les reconnaissants. Personne ne peut mourir que par la permission de Dieu, et au moment prédéterminé. Quiconque veut la récompense d'ici-bas, Nous lui en donnons. Quiconque veut la récompense de l'au-delà, Nous lui en donnons et Nous récompenserons bientôt les reconnaissants. (3:144-45)
Et certes, Dieu a tenu Sa promesse envers vous, quand par Sa permission vous les tuiez sans relâche, jusqu'au moment où vous avez fléchi, où vous vous êtes disputés à propos de l'ordre donné, et vous avez désobéi après qu'Il vous eut montré (la victoire) que vous aimez! Il en était parmi vous qui désiraient la vie d'ici bas et il en était parmi vous qui désiraient l'au-delà. Puis Il vous a fait reculer devant eux, afin de vous éprouver. Et certes Il vous a pardonné. Et Dieu est Détenteur de la grâce envers les croyants. (Rappelez-vous) quand vous fuyiez sans vous retourner vers personne, cependant que, derrière vous, le Messager vous appelait. Alors Il vous infligea angoisse sur angoisse, afin que vous n'ayez pas de chagrin pour ce qui vous a échappé ni pour les revers que vous avez subis. Et Dieu est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. (3:152-153)
Ceux d'entre vous qui ont tourné le dos, le jour où les deux armées se rencontrèrent, c'est seulement le Diable qui les a fait broncher, à cause d'une partie de leurs (mauvaises) actions. Mais, certes, Dieu leur a pardonné. Car vraiment Dieu est Pardonneur et Indulgent! (3:155)
Ô les croyants! Ne soyez pas comme ces mécréants qui dirent à propos de leurs frères partis en voyage ou pour combattre: "S'ils étaient restés avec nous, ils ne seraient pas morts, et ils n'auraient pas été tués." Dieu en fit un sujet de regret dans leurs cœurs. C'est Dieu qui donne la vie et la mort. Et Dieu observe bien ce que vous faites. Et si vous êtes tués dans le sentier de Dieu ou si vous mourez, un pardon de la part de Dieu et une miséricorde valent mieux que ce qu'ils amassent. Que vous mouriez ou que vous soyez tués, c'est vers Dieu que vous serez rassemblés. (3:156-58)
Si Dieu vous donne Son secours, nul ne peut vous vaincre. S'Il vous abandonne, qui donc après Lui vous donnera secours? C'est en Dieu que les croyants doivent mettre leur confiance. (3:160)
Quoi! Quand un malheur vous atteint - mais vous en avez jadis infligé le double - vous dites "D'où vient cela?" Réponds-leur: "Il vient de vous-mêmes". Certes Dieu est Omnipotent. Et tout ce que vous avez subi, le jour où les deux troupes se rencontrèrent, c'est par permission de Dieu, et afin qu'Il distingue les croyants. Et qu'Il distingue les Hypocrites. On avait dit à ceux-ci: "Venez combattre dans le sentier de Dieu, ou repoussez [l'ennemi]", ils dirent: «Volontiers, si nous savions combattre». Ils étaient, ce jour-là, plus près de la mécréance que de la foi. Ils disaient de leurs bouches ce qui n'était pas dans leurs cœurs. Et Dieu sait fort bien ce qu'ils cachaient. (3:165-67)
Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier de Dieu soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus et heureux des faveurs que Dieu leur a accordées, et ravis que ceux qui sont restés derrière eux et ne les ont pas encore rejoints, ne connaîtront aucune crainte et ne seront point affligés. Ils sont ravis d'un bienfait de Dieu et d'une faveur, et du fait que Dieu ne laisse pas perdre la récompense des croyants. (3:169-71)
Dieu ne saurait laisser les croyants dans l'état où vous êtes sans distinguer le mauvais du bon. Et Dieu ne saurait non plus vous dévoiler l'Inconnaissable. Mais Dieu choisit par Ses messagers qui Il veut. Croyez donc en Dieu et en Ses messagers. Et si vous avez la foi et la piété, vous aurez alors une récompense énorme. (3:179)
La dernière étape de la Bataille d'Ouhoud et la campagne de Hamra' al-Asad
Après la confusion initiale, ses Compagnons vinrent en aide au Prophète qui était blessé et qui s'était évanoui. Beaucoup de Compagnons étaient aussi blessés. Ils se retirèrent en un lieu sûr de la montagne. L'armée qoraïchite se mit à quitter le champ de bataille, pensant s'être vengée de Badr. Voyant qu'ils ne pouvaient pas écraser la résistance musulmane, ils montèrent leurs chameaux et leurs chevaux, et se dirigèrent vers La Mecque.
Le Messager craignait qu'ils puissent revenir et lancer une attaque sur Médine. C'est pourquoi le deuxième jour de la bataille d'Ouhoud, il ordonna à ceux qui avaient combattu la veille de se rassembler et de se mettre à la poursuite des incroyants. Certains parmi les Banu Abd al-Qays, qui avaient été engagés par Abou Sufyan, essayèrent de décourager cette ligne d'action en disant: «Les gens se sont rassemblés contre vous, craignez-les.» Mais cela ne fit qu'accroître la foi des croyants, qui rétorquèrent: "Dieu nous suffit; Il est notre meilleur garant". (3:173)[28]
La plupart des musulmans étaient gravement blessés; certains ne pouvaient pas tenir debout et devaient être portés par leurs amis.[29] À un moment aussi critique que celui-là, ils rassemblèrent leurs forces et se préparèrent à sacrifier leurs vies sur ordre du Messager. Ils l'accompagnèrent à Hamra' al-Asad, à environ 13 kilomètres de Médine. Les polythéistes mecquois avaient fait halte et parlaient d'une seconde attaque sur Médine. Cependant, quand ils aperçurent les croyants qu'ils croyaient avoir vaincus venir vers eux, ils ne purent pas rassembler assez de courage et préférèrent continuer leur route vers La Mecque.
La prudence et le génie militaire du Messager tournèrent une défaite en une victoire. L'ennemi n'avait pas assez de cran pour confronter à nouveau la résolution des musulmans en marchant sur Médine, et se retirèrent donc à La Mecque. Dieu révéla les versets suivants pour louer les héros musulmans:
Ceux qui, quoique atteints de blessure, répondirent à l'appel de Dieu et du Messager, il y aura une énorme récompense pour ceux d'entre eux qui ont agi en bien et pratiqué la piété. Certes ceux auxquels l'on disait: "Les gens se sont rassemblés contre vous; craignez-les" - cela accrut leur foi - et ils dirent: "Dieu nous suffit; Il est notre meilleur garant". Ils revinrent donc comblés des bienfaits du Seigneur et de Sa grâce. Nul mal ne les toucha et ils suivirent ce qui satisfait Dieu. Et Dieu est Détenteur d'une grâce immense. (3:172-74)
Vers la Bataille de la Tranchée
La tribu juive de Banu Nadhir était à l'origine l'allié juré des musulmans de Médine. Toutefois, ses membres complotaient secrètement avec les païens mecquois et les Hypocrites médinois. Ils tentèrent même de tuer le Prophète pendant qu'il leur rendait visite, enfreignant ainsi les lois de l'hospitalité et les accords du traité. Le Messager leur demanda de quitter leur position stratégique, à environ 5 kilomètres au sud de Médine, et ils acceptèrent. Mais quand Abd Allah ibn Ubayy, le chef des Hypocrites, leur promit son soutien en cas de guerre, les Banu Nadhir élevèrent des objections.
L'armée musulmane les assiégea donc dans leurs forteresses. Voyant que ni les païens mecquois ni les Hypocrites médinois ne se souciaient assez d'eux pour leur venir en aide, les Banu Nadhir quittèrent la ville. Ils furent consternés et expulsés, mais leurs vies furent épargnées. On leur accorda 10 jours pour partir avec leurs familles et tout ce qu'ils pouvaient emmener avec eux. La majorité rejoignirent leurs coreligionnaires en Syrie et d'autres à Khaybar.
En rentrant d'Ouhoud, Abou Sufyan avait défié les musulmans pour une revanche à Badr l'année suivante.[30] Mais quand l'heure désignée sonna, il perdit tout courage. Pour sauver la face, il envoya Nu'aym ibn Mas'ud (alors encore incroyant) à Médine pour propager la rumeur que les Qoraïchites faisaient de terribles préparatifs de guerre et rassemblaient une gigantesque armée invincible. Cependant, quand le Prophète parvint à Badr avec une armée de 1500 combattants, il n'y avait aucun ennemi pour l'affronter. Ils restèrent là-bas pendant huit jours, attendant la réalisation de la menace de guerre. Comme aucun signe de l'armée qoraïchite n'apparaissait, ils rentrèrent à Médine. Cette campagne fut appelée Badr as-Sughra (La Petite Badr).
En 627, le Messager fut informé que les tribus du désert Anmar et Tha'laba avaient décidé d'attaquer Médine. Il alla à Dhat ar-Riqa' avec 400 combattants et, entendant que les tribus ennemies avaient fui, rentra à Médine.[31] Après cela, il marcha sur la tribu païenne des Banu Mustaliq, qui avaient fait des préparatifs pour combattre les musulmans. Il les attaqua et les vainquit avec 700 guerriers.[32] Sur le chemin du retour vers Médine, les Hypocrites essayèrent, en vain, de provoquer la discorde entre les Émigrés et les Ansars. Des versets furent révélés pour mettre au grand jour tous leurs secrets et dévoiler combien leur monde intérieur était souillé. (63:1-11)
La Bataille de la Tranchée
En 627, un groupe de juifs expulsés de Banu Nadhir, comprenant Sallam ibn Abi al-Huqayq, Huyayy ibn Akhtab et certains membres des Banu Wa'il, allèrent à La Mecque. Ils rencontrèrent les Qoraïchites et les poussèrent à poursuivre les hostilités et leur promirent aide et soutien. Ces juifs se rendirent auprès des tribus Ghatafan et Qays Aylan et, leur promettant de les aider, les encouragèrent à se battre contre le Messager.[33] Ces intrigues aboutirent à une grande confédération anti-musulmane composée de polythéistes mecquois, de tribus du désert de l'Arabie centrale, de juifs (à la fois ceux qui avaient été expulsés de Médine et ceux qui y résidaient encore) et les Hypocrites. Ces deux derniers formaient une cinquième colonne à Médine.
Quand le Messager fut informé par ses agents secrets de ce rassemblement de confédérés anti-musulmans, il consulta ses Compagnons. Ils consentirent tous à rester à Médine et à se battre de là. Salman al-Farisi suggéra de creuser une tranchée autour de la ville. Il leur fallut six jours de travail acharné pour accomplir cette tâche. Le Messager divisa les musulmans en groupes de dix et leur dit de rivaliser entre eux. C'était un travail très pénible et difficile, il n'y avait guère de temps, et la faim sévissait. Néanmoins, tous les Compagnons avaient le cœur à l'ouvrage. Afin de ne pas ressentir la faim, chacun d'entre eux s'attachait une pierre sur le ventre et récitait, tout en creusant:
C'est nous qui avons prêté le serment d'allégeance à Mohammed;
Pour observer le combat tant que nous vivrons.
Par Dieu, si Dieu ne nous l'avait pas permis,
nous n'aurions (connu) ni guidance,
Ni aumône ni prière.
Fais donc descendre sur nous la sérénité
Et affermis nos pas lors de la rencontre de [l'ennemi]![34]
Le Messager, qui creusait à leurs côtés avec deux pierres attachées autour de son ventre, leur répondit par ce distique:
Ô Dieu, il n'y a de vraie vie que celle de l'au-delà,
Alors pardonne aux Ansar et aux Mouhadjir
(les Secoureurs et les Émigrés).[35]
Lorsqu'ils creusaient la tranchée, les Compagnons déterrèrent un énorme rocher qu'ils n'arrivaient pas à fracasser. Ils firent appel au Messager qui se mit à le frapper avec sa pioche. Dans la lumière produite par les étincelles qui en résultaient, il prédit: «On m'a donné les clés de la Perse; ma communauté la conquerra.» Il frappa le rocher une seconde fois et, dans la lumière produite par les étincelles, il annonça: «Dieu est le plus Grand. On m'a donné les clés de Byzance; ma communauté la conquerra.»[36]
Médine sous la menace
Les alliés avancèrent contre Médine dans l'espoir d'anéantir les musulmans sur un champ de bataille ouvert. Toutefois, ils reçurent le premier coup quand ils firent face à cette nouvelle stratégie. Comptant environ 20 000 hommes, ils campèrent près de la tranchée. Les Médinois avaient à peine 3000 soldats. De plus, la cinquième colonne formée par les juifs de Banu Quraydha et les Hypocrites avait déjà contacté l'ennemi. Comme il est dit dans le Coran (33:12-20), quand les Hypocrites avaient aperçu l'ennemi pour la première fois, ils avaient déjà adopté une humeur défaitiste. Non contents d'être les seuls déloyaux, ils essayaient d'infecter les autres, et présentaient de piètres excuses pour se retirer. Si l'ennemi parvenait à entrer dans la ville, ils les trahiraient sans hésitation.
Le Messager montra une fois de plus sa sagacité et son génie militaire: il garda les soldats à l'intérieur de la ville et les positionna de façon à ce qu'ils puissent protéger leurs foyers contre d'éventuelles attaques des Banu Quraydha. L'instant le plus critique arriva quand les Banu Quraydha envoyèrent un homme à Médine pour s'enquérir de la condition des femmes musulmanes. Or ils perdirent tout espoir quand cet homme fut tué par Safiyya, la tante du Prophète.[37]
Tandis que la guerre continuait avec des échanges de flèches et de pierres, le Messager s'engagea dans des tentatives diplomatiques pour diviser les Alliés. Il contacta les leaders de Ghatafan et, leur offrant la paix, les incita à retirer leurs hommes. Nu'aym ibn Mas'ud, un leader du camp des Alliés qui était venu à Médine avant la bataille pour semer la discorde, inclinait déjà vers l'islam. Pendant la bataille, il embrassa secrètement l'islam et suivit l'ordre du Messager de provoquer les Banu Quraydha contre leurs alliés. Nu'aym attisa leur méfiance envers les Qoraïchites en affirmant que ces derniers allaient les abandonner et qu'ils devraient donc refuser de les aider tant que les Qoraïchites ne leur fournissaient pas d'otages. Puis il alla dire aux Qoraïchites que les Banu Quraydha n'avaient pas l'intention de tenir leurs promesses et qu'ils essaieraient de gagner du temps en demandant des otages qoraïchites pour partager leur sort en cas de défaite. Ce stratagème fut un exploit et la dissension se répandit parmi les rangs des Alliés.[38]
Le Messager avait ordonné que la partie de la tranchée soutenue par la montagne Sal derrière la ville soit plus étroite qu'ailleurs, car il s'attendait à ce que les cavaliers qoraïchites en tête essaient de la traverser. C'est ce qui arriva: quelques célèbres guerriers qoraïchites voulurent traverser pour mener des combats singuliers avec les combattants musulmans. Parmi eux se trouvaient Amr ibn Abd Wudd, Ikrima ibn Abi Jahl, Hubayra ibn Abi Wahb, Dirar ibn al-Khattab et Nawfal ibn Abd Allah ibn al-Mughira.
Se vantant de sa force et de ses talents de combat, Amr descendit de son cheval et fit face à Ali, qui avait reçu l'ordre du Messager de le combattre. Amr s'avança avec son épée dégainée. Il brandit rapidement son épée contre Ali, mais elle fut stoppée par le bouclier de Ali. Celui-ci le frappa avec tant de force que cela fit lever la poussière autour d'eux. Puis on clama Allahou akbar! (Dieu est le plus Grand!): Ali avait tué son adversaire.[39] Il tua aussi Dirar, Hubayra et Nawfal.[40] Aucun autre cavalier ou général qoraïchite ne put traverser cet endroit-là.
Le siège dura 27 jours. Les musulmans souffraient beaucoup de la faim, du froid, des incessantes pluies de flèches et de pierres, des tentatives et des assauts concentrés pour traverser la tranchée, et des trahisons et des intrigues à l'intérieur de Médine. Le Coran décrit ainsi la situation:
Quand ils vous vinrent d'en haut et d'en bas [de toutes parts], et que les regards étaient troublés, et les cœurs remontaient aux gorges, et vous faisiez sur Dieu toutes sortes de suppositions... Les croyants furent alors éprouvés et secoués d'une dure secousse. Et quand les Hypocrites et ceux qui ont la maladie [le doute] au cœur disaient: "Dieu et Son messager ne nous ont promis que tromperie". De même, un groupe d'entre eux dit: "Gens de Yathrib [Médine]! Ne demeurez pas ici. Retournez [chez vous]". Un groupe d'entre eux demandait au Prophète la permission de partir en disant: "Nos demeures sont sans protection", alors qu'elle ne l'étaient pas: ils ne voulaient que s'enfuir. (33:10-13)
Après presque quatre semaines durant lesquelles l'ennemi fut démoralisé par son échec et où les musulmans prouvèrent leur loyauté et leur endurance, il y eut soudain une rafale de vent glacial venant de l'est. Les tentes de l'ennemi furent arrachées, leurs feux s'éteignaient, le sable et la pluie battaient leurs visages. Terrifiés par le malheur qui les avait frappés, et déjà décimés par la discorde, ils abandonnèrent aussitôt. Hudhayfa al-Yamani, envoyé par le Messager pour espionner les mouvements des ennemis, entendit Abou Sufyan crier: «Allons-nous-en! Rentrons chez nous!»[41]
Les musulmans furent victorieux grâce à l'aide de Dieu, car des forces cachées (les anges) les aidaient:
Ô vous qui croyez! Rappelez-vous le bienfait de Dieu sur vous, quand des troupes vous sont venues et que Nous avons envoyé contre elles un vent et des troupes que vous n'avez pas vues. Dieu demeure Clairvoyant sur ce que vous faites. (33:9)
La Bataille de la Tranchée fut la dernière tentative qoraïchite de détruire l'islam et les musulmans. Suite à leur retrait dans la défaite et l'humiliation, le Messager déclara: «À partir de maintenant, c'est nous qui marcherons sur eux, et ils ne seront plus capables de faire de raids sur nous.»[42]
Après que les Alliés avaient été mis en déroute et étaient rentrés chez eux, le Messager se concentra sur les Banu Quraydha qui avaient violé leur accord avec lui et s'étaient alliés avec les Qoraïchites. Aussi avaient-ils donné refuge aux leaders des Banu Nadhir, tels que Huyay ibn Akhtab, qui avait été expulsé de Médine et qui continuait à conspirer contre les musulmans.
À peine le Messager était-il rentré de la bataille que l'archange Gabriel apparut et dit: «Je n'ai pas retiré ma cotte de mailles et je pars vers les Banu Quraydha.»[43] Le Messager ordonna à ses Compagnons de marcher sur cette tribu juive, et fit installer sa tente en face de leurs forteresses. Il leur aurait pardonné s'ils le lui avaient demandé, mais ils préféraient résister. Le Messager les assiégea pendant 25 jours. Enfin, ils demandèrent les termes de leur reddition, acceptant de se soumettre au jugement de Sa'd ibn Mu'adh, qui décréta la sentence selon la Torah. Ce fut la fin des conspirations des Banu Quraydha, ainsi que de la présence juive à Médine.[44]
Sa'd ibn Mu'adh, un leader des Ansars, avait été blessé durant la Bataille de la Tranchée. Il pria: «Ô Dieu, si je suis capable de me battre une fois de plus aux côtés du Messager, fais-moi vivre. Sinon, je suis prêt à mourir». Il tomba martyr peu après que les conspirations juives prirent fin.[45]
Vers la conquête de La Mecque
Comme nous l'expliquerons plus tard en détail, le traité de Houdaïbiya fut une victoire manifeste qui ouvrit la porte à d'autres victoires plus grandes encore. La menace mecquoise n'existant plus, le Messager envoya des représentants dans les pays voisins pour les inviter à l'islam. Il entreprit aussi de résoudre les autres problèmes auxquels il faisait face en Arabie.
La plupart des juifs de Banu Nadhir s'étaient réinstallé à Khaybar. Coopérant avec eux, les juifs de Khaybar continuèrent à se liguer à maintes reprises contre l'islam, selon les périodes, soit avec les Qoraïchites soit avec les Banu Ghatafan. Les Banu Nadhir avaient contribué à former l'alliance de 20 000 combattants anti-musulmans, vaincue durant la Bataille de la Tranchée. Cherchant à mettre un terme à cette présence juive continuellement hostile afin de pouvoir assurer la future sécurité de l'Arabie et la libre prédication de l'islam, les musulmans décidèrent d'agir.
La punition des Banu Quraydha incita les juifs de Khaybar à s'allier avec les Banu Ghatafan pour attaquer Médine.[46] Ils faisaient des préparatifs à cette fin quand, après le traité de Houdaïbiya, le Messager marcha sur Khaybar. Il fit comme s'il voulait attaquer les Banu Ghatafan, et les força à se réfugier derrière leurs remparts sans oser aider les juifs de Khaybar. Puis il se tourna subitement vers Khaybar. Les fermiers du village, qui avaient quitté très tôt leurs maisons avec leurs outils de travail, aperçurent l'armée musulmane s'approcher de la ville et se mirent à courir pour prendre refuge dans leurs redoutables citadelles.
Le Messager assiégea Khaybar pendant trois semaines. Vers la fin du siège, il rassembla ses soldats et leur dit: «Demain, je donnerai la bannière à celui qui aime Dieu et le Messager et qui est aimé de Dieu et de Son Messager. Dieu nous permettra de conquérir Khaybar grâce à lui.»[47] Le jour suivant, presque tout le monde espérait recevoir l'étendard. Cependant, le Messager demanda à voir Ali. Quand on lui dit qu'il avait mal aux yeux, le Messager le fit chercher, appliqua sa salive sur les yeux douloureux de Ali et lui remit l'étendard.[48] Ali alla à la forteresse et, après un combat acharné, Khaybar fut conquise. Safiyya faisait partie des captifs. C'était une noble femme et la fille de Huyay ibn Akhtab, le chef des Banu Nadhir. En l'épousant, le Messager établissait un lien avec le peuple conquis.
La Bataille de Mu'ta
Dans l'atmosphère pacifique apportée par le traité de Houdaïbiya, le Messager envoya des lettres aux rois des contrées voisines pour les inviter au sein de l'islam. Le roi Shurahbil de Busra, un Arabe chrétien, tua l'envoyé (Harith ibn Umayr). Ce fut une violation impardonnable de l'usage international et du prestige de l'islam qui ne pouvait rester sans réponse. Le Messager forma donc une armée de 3000 hommes, avec Zayd ibn Haritha comme commandant, et dit: «Si quelque chose arrive à Zayd, Ja'far ibn Abi Talib assumera le commandement. Si Ja'far tombe martyr, Abd Allah ibn Rawaha assumera le commandement. Si jamais quelque chose arrive à Abd Allah, choisissez l'un d'entre vous comme commandant.»
Quand l'armée musulmane atteignit Mu'ta, elle fit face à une armée byzantine de 100 000 hommes. Assurément, cela promettait d'être une bataille féroce. Chaque musulman allait devoir se battre contre à peu près 33 ennemis. Pendant ce temps, le Messager était à la mosquée, parlant du combat à ceux qui l'entouraient. Zayd prit l'étendard. Il se jeta dans les rangs ennemis et fut martyrisé. L'étendard passa à Ja'far ibn Abi Talib. Il s'éleva également au Paradis. Abd Allah ibn Rawaha prit l'étendard et goûta aussi au martyre. Désormais, l'étendard était entre les mains de l'une des «épées de Dieu»[49], à savoir Khalid ibn Walid, qui allait, à partir de ce moment-là, être appelé «l'Epée de Dieu».[50]
Durant la nuit, Khalid positionna les troupes de l'arrière au premier rang, et changea les ailes, plaçant celle qui était à droite à gauche et vice versa. Le lendemain matin, voyant de nouvelles troupes devant elle, l'armée byzantine fut démoralisée. Quand la nuit tomba, les camps furent levés et les deux forces battirent en retraite. L'armée musulmane rentra à Médine avec seulement douze pertes. Bien que ce fût une victoire pour les musulmans, ils avaient quand même honte de rencontrer le Messager car ils battirent retraite. Or il les accueillit et les consola: «Vous n'avez pas fui. Vous vous êtes retirés pour me rejoindre et plus tard, vous repartirez contre eux.»
La conquête de La Mecque et ses suites
En 627, le Messager eut un rêve ou une vision où lui et ses Compagnons entraient dans la Mosquée sacrée de La Mecque en toute sécurité, avec leurs têtes rasées ou avec les cheveux raccourcis, et sans aucune crainte. Comme nous l'expliquerons plus tard, ils avaient été auparavant empêchés d'entrer à La Mecque et conclurent donc un traité avec les Qoraïchites à Houdaïbiya. Au début, les musulmans n'étaient guère satisfaits des clauses du traité, mais les versets révélés après le traité l'appelèrent une «victoire manifeste».
Les deux années suivant cet événement prouvèrent la vérité de ces mots. Des figures de proue telles que Khalid ibn Walid et Amr ibn al-As devinrent musulmanes, et l'islam se répandit à travers toute l'Arabie. Les conspirations juives prirent fin, et l'islam traversa d'autres contrées grâce aux lettres envoyées aux rois des pays voisins. À la fin de cette période, les Banu Bakr (un allié qoraïchite) attaquèrent les Banu Khuza'a (l'allié des musulmans) et tuèrent l'un d'entre eux. La trêve qui existait entre les musulmans et les Qoraïchites était ainsi terminée. N'étant plus capables de résister aux musulmans, Abou Sufyan vint à Médine dans l'espoir de renouveler la trêve. Mais le Messager refusa de le rencontrer.[51]
Le Messager commença les préparatifs de guerre. Comme d'habitude, il gardait le secret des opérations et personne, y compris ses épouses et ses plus proches amis, ne connaissait la destination de la campagne militaire. Quand Abou Bakr demanda à sa fille Aïcha (l'une des épouses du Prophète) où il avait l'intention de combattre, elle lui répondit qu'elle ne savait pas.[52] Pourtant, un Emigrant nommé Hatib ibn Abi Balta'a devina son intention et envoya une lettre aux Qoraïchites en les informant des préparatifs du Messager. Celui-ci, apprenant cela par la Révélation, ordonna à Ali et Zubayr de prendre la lettre de la femme à qui Hatib l'avait confiée. C'est ce qu'ils firent avec succès.[53]
Le Messager quitta Médine avec 10 000 hommes. Deux années avant, ils comptaient 1 600 hommes quand sa tentative de petit pèlerinage ('umra) résulta en le traité de Houdaïbiya. L'atmosphère de paix qui s'ensuivit entraîna beaucoup de gens à reconsidérer, voire accepter l'islam.
Les Compagnons ignoraient la destination de la campagne jusqu'à ce qu'ils reçurent l'ordre de se diriger vers La Mecque. Quand ils approchèrent de la ville sainte, le Messager ordonna à chaque soldat d'allumer un feu, car les Mecquois avaient pour coutume d'allumer un feu pour chaque tente quand ils voyageaient dans le désert.[54] Par suite, ils estimèrent que l'armée musulmane devait compter à peu près 30 000 hommes. Etant assez réalistes pour comprendre qu'ils n'avaient pas les moyens de résister à une telle force, ils se rendirent. Abou Sufyan, qui avait été invité par le Messager pour voir l'armée musulmane, conseilla aussi cela.
Le Messager ne voulait pas d'effusion de sang. Divisant son armée en six colonnes, chacune entra à La Mecque par un chemin différent. Il ordonna aux commandants d'éviter de verser le sang à moins qu'ils ne soient attaqués. Pour réaliser cet objectif et conquérir La Mecque pacifiquement, il annonça: «Ceux qui se réfugient à la Ka'ba sont en sécurité, ceux qui se réfugient chez Abou Sufyan sont en sécurité, et ceux qui restent chez eux sont en sécurité.»[55]
Etant un Prophète d'une miséricorde absolue qui vint pour assurer le bonheur de l'humanité dans ce monde et dans l'autre, le Messager entra à La Mecque, courbé sur le dos de sa mule, bien qu'il fût un conquérant victorieux. Il ne montra aucune fierté et ne nourrissait aucun désir de vengeance ou de représailles. Il avança vers La Mecque en toute modestie et dans une gratitude absolue envers Dieu, qui l'avait rendu victorieux dans sa mission sacrée. S'arrêtant à la Ka'ba, il demanda à ses ennemis: «À quel traitement vous attendez-vous de ma part?» Ils répondirent: «Tu es un homme noble, fils d'un homme noble.» Le Messager déclara: «En ce jour, aucun reproche ne vous sera fait. Dieu vous pardonnera; Il est le plus Miséricordieux des Miséricordieux. Vous pouvez partir, vous êtes libres.»[56]
Cet événement marqua la fin du polythéisme à La Mecque. En détruisant les idoles de la Ka'ba, il récitait: Et dis: "La Vérité (l'islam) est venue et l'Erreur a disparu. Car l'Erreur est destinée à disparaître". (17:81)[57] La quasi-totalité des Mecquois était désormais devenue des Compagnons.
La Bataille de Hunayn
Les tribus arabes attendaient de voir qui allait gagner avant d'accepter ou non l'islam, disant: «Si Mohammed l'emporte sur son peuple, il est donc bien Prophète.» En conséquence, après la victoire des musulmans, ils commencèrent à embrasser l'islam en foules. Cela choqua les païens qui organisèrent un grand rassemblement près de Ta'if pour coordonner leurs plans d'attaque.
Les Hawazin et les Thaqif, connus pour leur courage et leur talent au tir à l'arc, prirent la tête des opérations et préparèrent une grande expédition contre La Mecque. Informé de leurs mouvements par Abd Allah ibn Hadrad, qu'il avait envoyé vers eux, le Messager quitta La Mecque avec 12 000 musulmans qui se réjouissaient des 2000 nouveaux convertis. Pour protéger La Mecque et consolider la foi des nouveaux musulmans en cicatrisant leurs sentiments blessés, le Messager décida de ne pas se battre à l'intérieur de La Mecque.
Le combat fut engagé à Hunayn, une vallée entre La Mecque et Ta'if. Les nouveaux musulmans avaient plus d'enthousiasme que de sagesse, ils étaient plus portés par la joie que par la foi et la confiance en la noblesse de leur cause. L'ennemi avait l'avantage de connaître parfaitement le terrain. Il tendit une embuscade dans laquelle l'avant-garde des musulmans tomba, ou y fut volontairement poussé par le Messager qui avait peut-être planifié de faire approcher l'ennemi en faisant semblant de battre en retraite. Cependant, la retraite fut confuse et eut lieu sous une pluie de flèches ennemies.
Le Prophète, aussi calme que d'habitude dans sa foi et sa sagesse, même à cette heure de danger, continua de s'avancer sur sa mule. Son oncle Abbas était à sa droite, et son cousin Fadhl à sa gauche. Tandis qu'Abou Sufyan ibn al-Harith essayait de l'arrêter, le Messager s'écria: «Maintenant, la guerre a été déclarée. Je suis le Prophète, pas de mensonge là-dessus! Je suis le descendant de Abd al-Muttalib.»[58]
Le Prophète demanda à Abbas d'appeler: «Ô Compagnons qui firent le serment d'allégeance sous l'acacia!»[59] Une même réponse s'éleva de toutes parts: «Labbayk!» (À vos ordres!), et ils se rallièrent au Prophète. L'ennemi, désormais au centre de l'armée musulmane, était encerclé de tous les côtés. La bravoure, la sagesse et la résolution du Messager changèrent ce qui aurait pu être une défaite en une victoire éclatante. Ce fut grâce à l'aide de Dieu que les musulmans l'emportèrent. Ils achevèrent leur victoire par une vive poursuite de l'ennemi, capturant leurs camps, leurs troupeaux et leurs familles qu'ils avaient fièrement amenés avec eux car ils s'attendaient à une victoire facile.
L'ennemi mis en déroute se réfugia à Ta'if. La victoire des musulmans persuada les tribus du désert d'accepter l'islam, et peu après cela, les tribus rebelles et Ta'if se rendirent aussi à l'islam.
L'expédition de Tabouk
L'issue de l'affrontement entre les musulmans et les Byzantins à Mu'ta stupéfia l'Arabie et le Moyen-Orient, car les Byzantins n'avaient pas gagné, bien qu'ils dépassaient en nombre les musulmans par 33 contre 1. Finalement, des milliers de membres des tribus arabes semi-indépendantes vivant en Syrie et aux alentours se convertirent à l'islam. Pour se venger de Mu'ta et pour prévenir la progression de l'islam, Héraclius (l'Empereur byzantin) donna l'ordre de faire des préparatifs militaires pour envahir l'Arabie.
Le Messager, toujours au courant des développements liés à sa mission, défia aussitôt les Byzantins sur un champ de bataille. Tout signe de faiblesse de la part des musulmans aurait pu raviver le forces vacillantes du polythéisme et de l'hostilité arabes, qui avaient reçu un coup fatal à Hunayn. Un tel développement pourrait aussi encourager les Hypocrites dans et autour de Médine à causer de sérieux torts à l'islam de l'intérieur. Ils étaient déjà en contact avec le prince chrétien ghassanide et avec l'Empereur de Byzance, et avaient construit une mosquée - que le Coran appelle la Mosquée de Dhirar (dissension) (9:107) - près de Médine qui servait de base pour leurs opérations.
Réalisant la gravité de la situation, le Messager lança un appel aux musulmans pour qu'ils se préparent à la guerre et, contrairement à ses habitudes, déclara que les Byzantins étaient leurs cibles.
C'était le milieu de l'été. La chaleur torride était à son apogée, la saison des récoltes était arrivée, et il n'y avait pas assez de ressources matérielles. Qui plus est, l'ennemi en question était l'une des deux superpuissances régionales. Malgré cela, les Compagnons répondirent avec ferveur à son appel et commencèrent leurs préparatifs de guerre, tous contribuaient bien plus que ce que leurs moyens financiers ne permettaient. D'énormes sommes d'argent furent données par de riches Compagnons tels que Othman et Abd ar-Rahman ibn 'Awf.[60] Ceux qui ne pouvaient pas être inclus dans l'armée musulmane, en raison du manque de montures et d'autres provisions nécessaires, pleuraient si amèrement et regrettaient leur exclusion si pitoyablement que le Messager en fut touché. Dieu les loua dans le Coran (9:92). Cette occasion, en réalité, servait à distinguer les croyants des Hypocrites.
En 631, le Messager et 30 000 soldats quittèrent Médine et marchèrent sur Tabouk, tout près de ce qui était alors le territoire byzantin en Syrie. L'Empereur de Byzance, qui avait commencé à rassembler une gigantesque armée, abandonna ses plans et retira son armée, car le Messager arriva en avance de ce qu'il escomptait, et bien avant que le rassemblement des troupes byzantines ne soit achevé.[61]
Le Messager resta à Tabouk pendant vingt jours. Plusieurs Etats tampons qui étaient sous l'hégémonie byzantine acceptèrent de payer la djizya (capitation) et de vivre sous son autorité. Aussi de nombreuses tribus chrétiennes embrassèrent-elles l'islam.[62] Cette victoire sans effusion de sang permit aux musulmans de consolider leur position avant de prolonger leur conflit avec les Byzantins, et détruisit le pouvoir des incroyants et des Hypocrites d'Arabie.
[1] Ibn Sa'd, 3:162
[2]Muslim, "Kitab al-Jihad waas-Sayr," 30; Waqidi, Maghazi, 1:48-49
[3] Tabari, Tarikh al-Umam wa al-Muluk, 2:430
[4]Ibn Hanbal, 1:411, 418
[5] Ibn Sa'd, 3:120
[6]Ibn Hanbal, 1:159
[7] Ibn Hisham, 2:127
[8]Ibid., 1:621
[9]Ibid., 1:668; Ibn Hanbal, 1:368
[10] Ibn Hisham, 2:277
[11]Ibid., 2:280-287; Ibn Kathir, 3:350
[12]Abu Dawud, 2:53; Muslim, 5:170
[13] Ibn Hisham, 3:58
[14] Ibn Hisham, 3:664/667
[15]Bukhari, "I'tisam," 28; Ibn Hisham, Sira, 3:68
[16] Ibn Hisham, 3:68
[17]Bukhari, "Jihad," 164; Abu Dawud, "Jihad," 6
[18]Muslim, "Fadha'il as-Sahaba," 128; Ibn Hanbal, 3:123
[19] Haythami, Majma' az-Zawa'id, 6:109
[20] Ibn Sa'd, Tabaqat, 3:12; Waqidi, Maghazi, 221
[21] Qadi 'Iyad, Shifa', 1:78-9; Hindi, Kanz al-'Ummal, 4:93
[22] Ibn Hisham, 3:99
[23] Ibn Sa'd, Tabaqat, 8:413-15
[24] Ibn Hanbal, 3:201; Bayhaqi, Sunan, 9:44
[25] Ibn Kathir, Al-Bidaya, 4:35-6
[26] Tabari, Tarikh, 3:17; Ibn Athir, Al-Kamil, 2:74; Ibn Hisham, Sira, 3:100
[27] Said Nursi, Lemalar (İstanbul: 28)
[28] Ibn Hisham, 3:120-1; Ibn Kathir, Al-Bidaya, 4:43
[29] Ibn Hisham, 3:101
[30] Ibn Hisham, 3:94; Ibn Sa'd, 2:59
[31] Ibn Hisham, 3:213
[32] Ibn Kathir, 4:178-79
[33] Ibn Hisham, 3:225-26; Waqidi, 441-43
[34]Bukhari, "Manaqib al-Ansar," 9; "Maghazi," 29; Muslim, "Jihad," 123-25
[35]Bukhari, "Manaqib," 9; Muslim, "Jihad," 127
[36] Ibn Hisham, 3:230; Ibn Kathir, Al-Bidaya, 4:116
[37] Ibn Hisham, 3:239
[38] Ibid., 3:240-42
[39] Ibid., 3:235-36
[40] Ibn Kathir, 4:123
[41] Ibn Hisham, 3:243
[42]Bukhari, "Maghazi," 29; Ibn Hanbal, 4:262
[43]Bukhari, "Maghazi," 30
[44] Ibn Hisham, 3:249-51
[45] Ibn Hisham, 3:238, 262; Ibn Sa'd, 3:423-24; Tabari, Tarikh, 3:49
[46] Ibn Hisham, 3:226; Diyarbakri, Khamis, 1:540
[47]Bukhari, "Maghazi," 38
[48]Bukhari,,"Maghazi," 38; Muslim, 4:1872
[49] Bukhari, "Maghazi," 44
[50] Ibn Hanbal, 5:299; Tabari, 3:110
[51] Ibn Hisham, 4:31
[52] Ibid., 4:39
[53] Ibid., 4:41
[54] Ibn Kathir, Al-Bidaya, 4:330; Ibn Hisham, 6:41-45
[55] Ibn Kathir, 4:331-32
[56] Ibn Sa'd, 2:142; Ibn Hisham, 4:55; Tabari, 3:120; Baladhuri, Futuh al-Buldan, 1:47
[57] Bukhari, 5:93; Muslim, 3:1408; Ibn Hisham, 4:59; Ibn Sa'd, 2:136
[58] Bukhari, "Jihad," 52; Muslim, "Jihad," 78
[59] Ibn Kathir, 4:373
[60] Ibn Hisham, 4:161; Tabari, Tarikh, 3:143; "Tafsir," 10:161
[61] Ibn Sa'd, 2:165-68; Tabari, Tarikh, 3:100-11
[62] Ibn Kathir, Al-Bidaya, 5:13
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