Une Approche Islamique de la Paix et de la Non-Violence: l'Expérience Turque

Cet article vise à discuter l'approche islamique de la paix et de la non-violence à travers l'étude de l'expérience turque. La première partie examine la perspective du Coran et des hadiths sur la paix et la non-violence, tandis que la seconde partie traite des figures islamiques turques qui promeuvent la paix et la non-violence à travers leurs enseignements et leurs activités, tels que Suleyman Hilmi Tunahan (1888-1959), Mehmet Zahit Kotku (1897-1980) et particulièrement Bediuzzaman Said Nursi (1876-1960) et Fethullah Gülen (1938- ).

L'islam, comme le suggère le mot lui-même, a des connotations de paix et de soumission. Mohammed, dans sa description des musulmans, dit: « Le musulman est celui dont les autres sont à l'abri du mal pouvant venir de sa langue et de ses mains ».[1] Les valeurs centrales de l'islam constituent la base de l'action non violente dans la tradition.[2] L'un des grands principes de la non-violence en islam se trouve dans la célèbre parole du Prophète: « Lâ Dharar wa lâ Dhrâr », qui peut être traduit par « ne pas faire de mal et être à l'abri du mal ».[3] Dans sa vie personnelle, le Prophète était un exemple vivant de la paix et de la non-violence. Aucune violence physique ou verbale ne lui a jamais été attribuée. Dans ses enseignements, la violence contre toute créature est interdite. Bien qu'il se soit défendu quand lui et ses fidèles étaient attaqués, il refaisait régner la paix dès que cela était possible, même au risque de sa propre vie. Le Traité de Houdaïbiyya en est un bon exemple. Ce traité eut un grand impact sur la vie du Prophète dans ses relations avec les idolâtres. Il accepta les conditions difficiles de ses opposants dans le seul but d'établir la paix. Se désarmant pour entrer dans la cité de La Mecque, il mit ses fidèles et lui-même dans une position très dangereuse afin qu'ils puissent accomplir le pèlerinage en paix.[4] L'action du Prophète contre les Mecquois fut un grand exemple de résistance non violente à l'oppression de l'élite de La Mecque. Bien que son message n'interdît pas l'usage de la force quand cela était nécessaire, il ne considéra jamais cela comme un aspect essentiel de son message. Le verset coranique « La paix est meilleure » (4/128) constituait la base de son message. Même si à l'origine ce verset se réfère aux disputes au sein du couple, la terminologie suggère néanmoins que la paix est supérieure dans tous les aspects de la vie. Par conséquent, chaque fois que la paix était possible, le Prophète encourageait toute action qui tendait vers cela. Même pendant la guerre, le Coran dit au Prophète: S'ils inclinent à la paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Dieu. (8/61) Un autre verset coranique demande au Prophète et à ses fidèles de résoudre leurs disputes en faisant la paix: Craignez Dieu et maintenez la concorde entre vous. (8/1) Un verset similaire dit: Et si deux groupes de croyants se combattent, faites la conciliation entre eux. (49/9) Le Prophète s'occupait aussi des questions de tolérance et de paix dans les rapports entre les individus. En fait, le collecteur de hadiths Boukhari consacra un livre entier de sa célèbre collection aux paroles du Prophète concernant la paix et la conciliation.[5]

La paix et la non-violence vont de paire. La non-violence est une étape importante dans le processus de paix. Le Coran décrit la demeure éternelle des croyants dans l'au-delà comme étant le dar as-salam - demeure de paix à laquelle Dieu invite les gens. (10/25) Les habitants du Paradis se saluent en disant « Paix ! » ou Salam ! (10/10) Dans l'au-delà, quand les anges salueront les gens du Paradis, ils diront aussi: Paix sur vous, pour ce que vous avez enduré dans le bas-monde ! (13/24) Il sera dit aux gens de bien: Entrez (au Paradis) en paix et en sécurité pour toujours ! (15/46) La paix est vue comme un attribut du croyant ainsi qu'un attribut de Dieu: Ils n'y entendront ni futilité ni blasphème, mais seulement les propos:"Salam ! Salam !"... [Paix ! Paix !] (56/25-26), en référence à la pureté et à l'harmonie des croyants éternels. D'ailleurs, Paix (as-Salam) est l'un des plus beaux Noms de Dieu. Pour imiter Dieu, les musulmans se doivent d'être pacifiques. En principe, le but de l'islam est de faire de ce monde un lieu où règne la paix, où toutes les créatures sont protégées pacifiquement afin de rapprocher les humains de Dieu et de méditer sur le Nom Divin as-Salam.

Comme nous l'avons rapidement mentionné, les premiers musulmans furent durement persécutés par les idolâtres de La Mecque. Malgré cela et en dépit de la pression constante de certains de ses Compagnons, pendant très longtemps, le Prophète n'autorisa pas ses fidèles à faire usage de la force et à pratiquer des représailles. Au contraire, il leur demandait d'être patients vis-à-vis de cette persécution, qui finit par forcer certains d'entre eux à quitter La Mecque qu'il chérissait tant pour émigrer en Abyssinie, où ils trouvèrent la paix et la sécurité. Le Prophète de l'islam lui-même, accompagné de son ami le plus proche, se cacha dans une grotte pour échapper à cette violence qui le visait, et put enfin émigrer à la cité de Médine, où il était invité à apporter la paix entre les tribus ennemies arabes et juives. Grâce au grand courage et à la position glorieuse du Prophète dans la société, les premiers musulmans avaient les moyens de se défendre contre les idolâtres de La Mecque. Cependant, le Prophète préférait toujours des méthodes non violentes pour répondre à leur persécution. Bien que le nom de Mohammed n'apparaisse pas sur la liste des leaders religieux qui pratiquèrent effectivement la non-violence à travers leurs vies (comme Bouddha et Jésus), il ne fait aucun doute qu'il pratiqua lui-même cette non-violence face à la persécution. Cela continua jusqu'à ce que la défense armée contre les attaquants fût permise par le Coran: Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués de se défendre, parce que vraiment ils sont lésés; (…) et ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, - contre toute justice, simplement parce qu'ils disaient: "Dieu est notre Seigneur". (22/39-40) Relativement à cette permission de se défendre par l'usage temporaire de la force contre ses attaquants, Mohammed est connu parmi les autres Prophètes comme Sahib al-Qadib, celui qui porte un bâton.[6] Un hadith donne un exemple de la vie du Prophète: un Bédouin vint au Prophète et tira son vêtement si violemment que l'on pouvait voir la marque que ce geste violent avait laissée sur son ourlet. Le Bédouin, un Arabe du désert, réclama ainsi une part du butin: « Accorde-moi des richesses de Dieu que tu détiens ! » Le Prophète se tourna vers lui, sourit sans montrer un quelconque signe de colère, et ordonna qu'un présent lui fût donné.[7]

Notons que le Prophète avait affaire à l'une des sociétés les plus sauvages de l'histoire. La tâche la plus difficile qui lui incombait était celle de changer les attitudes des individus. Les historiens rapportent que la dureté de cœur des membres de la société du Prophète avait atteint un tel degré que pour eux, enterrer vives leurs petites filles était un signe d'honneur tribal. Le Coran condamne de telles traditions tribales (81/8). Les enseignements qu'il apporta à ces même gens métamorphosa leurs cœurs et leurs esprits à un tel point qu'ils vinrent à montrer de la compassion envers non seulement tous les autres êtres humains, mais aussi envers les plus petites créatures de Dieu. Le Prophète ne fit pas ce changement par l'usage de la force. Ce fut son message de paix et de non-violence qui changea la mentalité de sa société.

C'est par la voie de la paix et de la non-violence qu'il transmit la révélation coranique à son peuple. Comme le dit le Coran, son devoir était de transmettre le message clairement (5/92). Ainsi, il dut faire face à la persécution des Mecquois avec patience, continuant à communiquer son message. Il demanda à sa communauté d'adopter cette attitude. Le Prophète les avertit contre d'éventuelles épreuves à venir et de futurs actes violents appelés fitnah au sein de la société islamique. Sa prédiction se réalisa sous la forme d'une guerre civile. Un Compagnon demanda: « Que devrai-je faire quand surviendront ces temps de dures épreuves? » Le Prophète suggéra: « Reste chez toi, et sache tenir ta langue. »[8] À l'époque de la guerre civile, la majorité des Compagnons évitèrent la fitnah (sédition) et l'anarchie sociale. Plus tard, ceci devint un principe de la tradition sunnite de l'islam vis-à-vis de l'anarchie et des troubles sociaux. Al-Ghazzali (décédé en 1111) est connu pour avoir défendu ce principe islamique[9] qui s'aligne avec l'idée d'« éviter toute provocation » et de « rester à la maison » tel qu'il fut exprimé par certains spécialistes des études sur la non-violence.[10]

Le Coran se réfère souvent aux luttes des Prophètes bibliques, en les présentant comme des exemples de patience et de fermeté. Le récit coranique des deux fils d'Adam, Abel et Caïn, est vu par les savants comme un exemple de non-violence. Le verset dit: Et raconte-leur en toute vérité l'histoire des deux fils d'Adam. Les deux offrirent des sacrifices; celui de l'un fut accepté et celui de l'autre ne le fut pas. Celui-ci dit:"Je te tuerai sûrement". "Dieu n'accepte, dit l'autre, que de la part des pieux". Si tu étends vers moi ta main pour me tuer, moi, je n'étendrai pas vers toi ma main pour te tuer: car je crains Dieu, le Seigneur de l'Univers. (5/27-28)

L'islam enseigne que celui qui initie un mal portera le fardeau de tous les maux commis après lui. Par suite, Caïn porte le fardeau de tous les meurtriers de l'histoire, puisqu'il était le premier à commettre ce crime. Les caractéristiques islamiques d'une personne non violente se trouvent dans la personnalité d'Abel, qui évita toutes représailles.

Ayant expliqué l'attachement du Prophète à la non-violence, la question de l'agression provisoire se pose. Le Prophète a-t-il jamais recouru à l'agression contre ses ennemis? Le Prophète a indubitablement pratiqué l'agression lorsque lui et ses fidèles furent attaqués par les idolâtres mecquois et n'eurent aucun autre moyen de les arrêter. Le Coran déclare: La sanction d'une mauvaise action est une mauvaise action [une peine] identique. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Dieu. Il n'aime point les injustes ! (42/40)

Bien que le Prophète se défendît contre les agresseurs, il lui arrivait souvent d'appliquer le pardon. Cette pitié et ce pardon embrassaient même ses ennemis. Il est rapporté dans les livres de hadith que lors des batailles de Ghatafan et d'Anmar, le brave chef de tribu nommé Ghawras s'approcha sournoisement du Prophète et, tenant son épée au-dessus de la tête du Prophète, lui demanda: « Qui te sauvera de moi? » à quoi le Prophète répondit: « Dieu ! » et pria « Ô Dieu ! Aide-moi contre lui ! » Aussitôt, Ghawras s'effondra, frappé par un mystérieux coup qu'il reçut entre les épaules, et son épée glissa de sa main. Le Prophète s'empara de l'épée et lui demanda: « Maintenant, qui te sauvera de moi? » Puis, le Prophète le pardonna et lui permit de retourner à sa tribu. Son peuple fut surpris de voir qu'un homme aussi vaillant que lui n'eût rien pu faire contre le Prophète. Ils l'interrogèrent: « Que t'est-il arrivé? Pourquoi n'as-tu rien fait? » Il leur raconta ce qui s'était passé et ajouta: « Je rentre de la compagnie du meilleur des hommes ».[11]

Il est demandé aux musulmans de lutter contre l'injustice où qu'elle se trouve. Toutefois, une telle lutte ne doit pas engendrer une plus grave injustice. Pour un tel cas, le Coran offre une alternative : la patience et la prière. Il déclare que si les gens sont pris en raillerie et persécutés par des oppresseurs, ils doivent se montrer patients et ils recevront une récompense pour leur patience (23:107-111). Les récompenses de ces personnes sont fonctions de leur patience et de leur fermeté, car le verset « Dieu est avec les patients » est devenu un bouclier protecteur pour les croyants. C'est pourquoi il faut pratiquer cela et répliquer par une résistance active. Prônant la résistance, le Prophète dit: « La meilleure action est la parole de vérité prononcée face à un roi despotique ». Toutefois, cette résistance doit se réaliser d'une manière positive, en conformité avec ce verset: Repousse le mal par ce qui est meilleur. (23/96) Beaucoup soutiennent que le Coran présente des méthodes de non-violence à travers les récits bibliques des Prophètes tels que Moïse. Par exemple, quand Dieu demanda à Moïse et à Aaron de transmettre Son message à Pharaon, le verset coranique dit: Parlez-lui dans un langage doux. Un tel accent porté sur le langage à utiliser face à un tyran comme Pharaon offre un excellent exemple de l'importance accordée à la non-violence dans les enseignements coraniques. Dans le même récit, l'on perçoit de la résistance non violente dans l'aveu des sorciers lorsqu'ils furent menacés par Pharaon. Quand les sorciers dirent: Nous avons foi en le Seigneur d'Aaron et de Moïse, Pharaon les repoussa et les menaça de crucifixion. Leur réponse à une telle menace est un autre exemple de non-violence: Nous ne te préférerons jamais à ce qui nous est parvenu comme preuves évidentes. Décrète donc ce que tu as à décréter. Tes décrets ne touchent que cette présente vie. (20/72)

Dans le monde actuel, la non-violence est devenue un moyen important de traiter les problèmes. De nombreux savants ont assimilé le terme « non-violence » avec d'autres termes plutôt que de le définir. La définition suivante présente le cadre général de ce terme: « C'est un ensemble d'hypothèses concernant la moralité, le pouvoir et les conflits, qui conduit les partisans de la non-violence à rejeter l'usage de la violence afin d'atteindre des objectifs sociaux et politiques ».[12] La non-violence, en tant que moyen de lutte sociale dans les siècles récents, est associée à des personnages très connus comme Léo Tolstoï (1828-1910) en Russie, Mahatma Gandhi (1869-1948) en Inde, Albert Luthuli (1898-1967) en Afrique du Sud et Martin Luther King, Jr. (1929-1968) aux États-Unis.

Notons que les maîtres soufis et les leaders spirituels dont nous avons parlé, bien que moins connus, offrent de grands exemples de paix et de non-violence dans la Turquie actuelle. Malgré toute la pression exercée par les ultra-sécularistes contre ces personnes, leur attachement à la non-violence a contribué à un environnement plus pacifique et plus sûr dans leurs pays. L'idée est que résister à la violence par la violence crée un cercle vicieux et ne fait qu'augmenter le niveau général de violence. Comme dit le proverbe turc, « Ce n'est pas avec le soufflet qu'on éteint le feu », ou comme Tolstoï, les actes violents contre le mal ne font qu'ajouter de l'huile sur le feu.[13] Bien que ces personnalités aient été au centre de l'attention des érudits ces dernières années, hélas, les références aux adeptes de la non-violence ne les incluent pas dans la liste de ceux qui ont effectivement pratiqué cela comme une forme d'activisme.[14]

Suleyman Hilmi Tunahan, le maître Naqshi, est connu pour sa piété et ses activités dans l'éducation coranique. Malgré l'oppression et la stricte surveillance du gouvernement de l'époque contre ses efforts, l'on ne trouve rien qui révèle un quelconque acte de violence de la part de ce cheikh soufi. Au contraire, il continua à se concentrer sur l'enseignement du Coran et demanda à ses adeptes de faire pareil.

Similairement, Mehmet Zahit Kotku, un autre maître soufi Naqshi, eut aussi un grand impact sur la vie sociale, politique et économique de la Turquie. Encore une fois, en dépit de l'interdiction officielle des confréries soufies, il parvint à faire continuer l'enseignement soufi et demeura parfaitement non violent dans sa protestation contre l'interdiction.

Deux autres grandes figures islamiques de la Turquie contemporaine, Said Nursi et Fethullah Gülen, n'appartenaient à aucune confrérie soufie mais ont eu une grande influence spirituelle sur le tissu social du pays. Peu de grands personnages sont aussi peu connus en Occident que Nursi, qui a été toute sa vie durant le champion de la non-violence. Comme le montrera cet article, il est l'une des figures de proue de la paix et de la non-violence dans la tradition islamique du dernier siècle. Nursi, qui passe pour l'un des rénovateurs (moujaddid) de l'islam[15], fait partie des figures islamiques qui défendirent la théologie de la non-violence dans sa lutte contre les oppresseurs, afin que les droits des innocents de la société ne fussent pas piétinés. Nursi, qui a combattu lors de la Première Guerre Mondiale, qui a été témoin direct des réalités terrifiantes du champ de bataille, qui a été blessé et a passé deux ans en tant que prisonnier de guerre en Sibérie, était on ne peut plus conscient de toute la destruction que la guerre pouvait apporter et qu'effectivement elle apportait.

Nursi avait une compréhension de la non-violence qui semble être unique dans le contexte actuel de l'activisme islamique. Malgré l'engagement de ses contemporains dans l'opposition réactionnaire à tendance politique à leurs gouvernements et à l'Occident, Nursi préféra éviter tout cela. Il appela ses disciples « les fonctionnaires de sécurité bénévoles » (asayış memurları). Il conceptualisa son idée d'activisme non violent avec l'expression « l'action positive » (Müspet Hareket), qui représente l'essence et le plus grand principe de la non-violence dans les enseignements de Nursi. Pour lui, la notion d'action positive va bien plus loin que la simple abstention de toute violence. Il est clair dans ses écrits que Nursi avait un grand cœur, ouvert pour tous, y compris ses persécuteurs. Bien qu'il fût empoisonné par eux au moins 17 fois, Nursi n'essaya jamais de leur rendre la pareille, et demanda même à ses disciples de renoncer à toute vengeance.[16] L'on perçoit les échos d'un verset coranique dans cette requête de Nursi auprès de ses fidèles élèves: « Chers frères ! Si je finis par être assassiné par mes opposants, par égard pour les innocents et les vieillards, je vous demande de ne pas me venger. Le châtiment de la tombe et de l'Enfer leur suffira ».[17] De 1926 jusqu'aux années 1960, une période où toutes les idées religieuses étaient réprimées, Nursi et ses partisans furent sporadiquement emprisonnés. Malgré la persécution à laquelle ils étaient confrontés, l'on ne trouve aucune prédication de haine dans ses écrits.

Contrairement à beaucoup d'adeptes de la non-violence de nos jours, Nursi n'avait aucun objectif politique. Son unique but était le succès des êtres humains dans l'au-delà. Il était convaincu que la victoire ne se remportait pas par l'usage de la force, mais par la persuasion. En disant que l'épée matérielle ne doit pas être utilisée, Nursi présente la vérité coranique comme une épée en diamant étincelante qui annule l'épée matérielle. La destruction que la violence peut engendrer poussa Nursi à fuir toutes sortes d'usage de la force physique. Sa célèbre lettre d'adieu à ses élèves est un exemple parlant. La lettre commence par la déclaration suivante: « Chers Frères, notre devoir est de nous engager dans l'action positive et non pas négative, et ce, afin de servir la religion selon ce qu'il plaît à Dieu. Nous n'avons pas à nous mêler des œuvres de Dieu. Nous devons répondre avec patience et gratitude à toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés lors de notre service pour la foi. Un tel service protégera la société du désordre. »[18] Bien que la lettre semble contenir des éléments de pacifisme, ceux qui connaissent la biographie de Nursi ne le classeront pas parmi les pacifistes - c'était un champion de l'action positive. Il s'opposait à l'attitude « je-m'en-fichiste » ou selon ses propres termes au nemelazım. Pour lui, un tel comportement n'aboutit qu'à la dictature.

Pour surmonter la violence, il avertissait les gens contre l'amour des biens et du pouvoir. Il assimilait la politique au pouvoir et répétait souvent que lui et ses élèves n'avaient aucune intention de s'engager politiquement en raison des risques d'usage de la force. Nursi avait dit: « Nous n'avons p as la massue de la politique entre les mains. Nos deux mains tiennent la lumière (nur). Quand bien même nous avions cent mains, elles ne tiendraient rien d'autre que la lumière. » Dans les enseignements de Nursi, la lumière symbolise la paix, l'harmonie, l'intelligence et tout ce qui est positif. Pour lui, personne ne devrait s'opposer à la lumière puisqu'elle profite à tout le monde. Bien sûr, Nursi n'était pas contre la politique consistant à servir le peuple, mais il entrevoyait les éventuels dangers liés au pouvoir qui se fonde sur les intérêts personnels. Il quitta la politique notamment parce qu'il remarqua combien elle était capable de changer, pour le pire, même les hommes les plus pieux. Il fut témoin d'un individu pieux appartenant à un certain parti accusant un homme quasi-saint de satanisme, uniquement parce qu'il était dans le parti de l'opposition. Pourtant ce même individu n'hésita pas à louer un être réellement mauvais simplement parce qu'il était membre de son propre parti. Ayant ainsi observé les dangers de l'esprit de parti, Nursi décida de fuir la politique et prononça sa fameuse phrase: « Je me réfugie auprès de Dieu contre Satan et contre la politique ».[19]

En s'écartant de la politique, Nursi pratiqua ce que les experts de la non-violence appellent « le retrait du système social ». Il croyait que ses activités et ses écrits spirituels aideraient les gens à prendre conscience de l'au-delà. Nursi réalisa une hégire spirituelle et adopta un style de vie ascétique. Son modèle de non-violence, poussé jusqu'à son abstention de toutes sortes de politique, n'est guère connu. Même Gandhi, un héros de la non-violence, devint plus tard le chef de l'Inde. Comme son contemporain musulman, Khan Abdulgaffar Khan (1890-1988)[20], qui lutta contre l'occupation britannique de l'Inde et promut l'éducation comme le moyen le plus important pour le progrès des musulmans, Nursi soutenait que dans un monde civilisé, il ne devrait y avoir aucune place pour la violence. Dans l'une de ses lettres sur les rapports entre les musulmans et les non-musulmans, il écrivit: « Notre action envers les non-musulmans est fondée sur la persuasion, nous les considérons comme un peuple civilisé. Il est de notre devoir de leur montrer que l'islam est noble et magnifique. »[21]

Plus tard, Nursi développa cette idée dans le contexte de la coopération interreligieuse, notamment entre les musulmans et les chrétiens. Il formula ainsi la philosophie de ses enseignements: « Aimer l'amour et haïr la haine ».[22] Pour lui, les plus grands ennemis de la parole de Dieu étaient l'ignorance, la pauvreté et la désunion. Il pensait que dans l'ère de la raison et de la connaissance, le djihad des musulmans devrait se faire par les preuves éclatantes du Coran, et non pas par l'usage de la force. Selon lui, chaque verset coranique était bien plus fort que l'épée utilisée dans le combat. Il croyait fermement au pouvoir de la parole. « La méthode à employer avec les gens civilisés est celle de la persuasion, pas celle de la force qui s'applique aux personnages grossiers et têtus qui n'ont que faire des mots. »[23] Ainsi, il décrivait notre époque comme celle du djihad spirituel, « la lutte contre la destruction spirituelle ne doit pas être physique mais spirituelle ».[24] Se faisant l'écho de la célèbre déclaration de Tolstoï : « L'amour et la violence ne sauraient être ensemble. Cela présente une contradiction dans les termes, comme du feu froid ou de la glace chaude. »[25] Dans les enseignements de Nursi, l'amour et la haine ne peuvent pas se trouver en même temps dans le même cœur. Il dit: « Nous nous sommes sacrifiés pour l'amour. Il n'y a pas de place dans nos cœurs pour la haine. » D'après lui, les deux Guerres Mondiales ont exposé aux hommes le pouvoir destructeur de la haine. Par suite, « l'ère de la haine doit prendre fin. Même l'hostilité de l'ennemi, s'il n'attaque pas, ne doit pas attirer notre haine. »[26]

Said Nursi puisa son choix pour la non-violence dans les principes théologiques et éthiques de l'islam. L'un des principes qu'il utilisa comme fondement de sa méthode est le verset suivant: Personne ne portera le fardeau d'autrui. (6/164) En d'autres termes, l'on ne peut pas être tenu responsable des crimes commis par un autre. Selon la compréhension de Nursi, de nos jours surtout, la violence et les troubles sociaux ont conduit à la négligence de ce principe. Le verset dit clairement qu'un individu ne peut pas être considéré comme un criminel simplement à cause de son origine ethnique, de son milieu familial, de sa nationalité ou de sa parenté avec un criminel. Les combats actuels justifient la tuerie de centaines d'êtres humains pour ne punir qu'un seul criminel. Donc, le père ne peut pas être puni pour le crime de son fils, et l'épouse ne peut pas et ne doit pas être punie pour le crime de son mari. Dès qu'il y a violence, les innocents perdent leurs droits. Il est clair que les terroristes d'aujourd'hui se moquent de ce principe primordial du Coran.

C'est précisément pour cette raison que Nursi consacra sa vie à l'ordre dans la société. Il dit: « Si j'avais cent âmes, je les sacrifierais toutes juste pour que l'ordre règne dans la société et que les droits des innocents soient épargnés. » Se référant au verset susmentionné comme formant la base de sa pensée, Nursi formula sa vision dans la déclaration suivante: « Afin de ne pas faire de mal à 95 personnes à cause de 5 criminels, et de ne pas faire de tort aux enfants et aux familles à cause d'un criminel, le Traité de la Lumière [Risale-i Nur - la plus grande œuvre de Nursi] offre un service qui empêche l'anarchie dans la société et amène l'ordre pendant qu'il sert la foi des gens. » Nursi observa que ses écrits affectaient les gens tant et si bien que leurs consciences morales ne les laisseraient pas contribuer à l'anarchie et au désordre dans la société.[27] Concernant l'importance de l'ordre social et de la solidarité dans la société, il donna l'exemple des pierres du dôme: « Bien qu'il ne s'agisse que d'une pierre dans un dôme, aussitôt qu'elle sort des mains du maçon, elle obéit en inclinant la tête pour coopérer avec ses amies de sorte que toutes soient protégées contre le danger de tomber. Malheureusement, les humains n'ont pas compris le secret de la coopération dans leur société. Ils devraient au moins tirer une leçon de ces pierres. »[28]

En réponse au gouvernement l'accusant d'inciter les citoyens à la désobéissance, Said Nursi dit qu'il servait l'ordre social mieux que cent commissaires de police. Dans son Risale-i Nur, il développa les cinq piliers de l'harmonie sociale afin de protéger la société de l'anarchie et du désordre social. Ces piliers sont la compassion, le respect, la confiance, la conscience du licite et de l'illicite, et l'obéissance aux lois.[29] Selon Nursi, il est impossible d'assigner un policier à chaque membre de la société, mais en vivant ces principes, l'ombre d'un policier spirituel flottera sur le cœur de chaque citoyen.

Dans certaines de ses lettres adressées à ses élèves, Nursi utilisa toutes les alternatives imaginables pour éviter toute violence et pour ne rien faire qui puisse inviter la violence de ses opposants contre lui. Par exemple, Nursi employa une méthode que les adeptes de la non-violence appellent « la méthode du silence ». Quand il s'adressait à ses élèves, il parlait d'une multitude de choses et dès que le sujet touchait quelque question politique délicate, il disait: « Il ne m'est pas permis de parler de cela. Maintenant, le silence est nécessaire. »

Une autre méthode qu'il employait était celle de « la limitation du crime à un petit groupe ». Puisant cette méthode du verset susmentionné « Personne ne portera le fardeau d'autrui », Nursi évitait toute généralisation. Il pratiquait ce principe dans sa relation avec le parti au pouvoir, qui le considérait comme une grande menace pour sa propre existence. Il évitait d'accuser l'ensemble de ses opposants ; il choisissait de porter son accusation sur seulement 5% des membres du parti au pouvoir. Il préférait la voie du pardon, même pour ceux qui le torturaient. Écrivant à propos du procureur de la république qui demandait pour lui la peine de mort, il dit: « Même lui, je ne l'ai pas maudit dans mes prières. » Selon ses biographes, la raison pour laquelle il ne lança pas de malédiction contre le procureur était que Nursi se souciait de la fille de cet homme, qu'il connaissait. Si un mal devait arriver au procureur, il n'y aurait plus personne pour s'occuper de cet enfant innocent et lui montrer de l'amour paternel.

Il croyait fermement que les moyens employés pour atteindre une fin juste devaient eux aussi être justes. L'on ne saurait réaliser un noble but avec de vils moyens. La voie de la non-violence est la façon la plus sûre d'éviter les moyens vils et illégitimes pendant cette lutte spirituelle. Les biographes de Nursi relatent aussi un récit de sa vie en Anatolie orientale: un groupe de chefs de tribus kurdes lui rendirent visite pour lui demander la permission de se révolter contre le nouveau gouvernement établi à Ankara. Leur objectif était de rétablir la loi islamique (Charia). Nursi leur rappela que leur révolte causerait une pire injustice et engendrerait l'anarchie. Il leur demanda d'abandonner leur plan, et ils finirent par obéir à Nursi.[30] Il n'est pas possible de créer une société paisible par le biais d'actes de violence. Les enseignements de Nursi furent appréciés en Turquie à une époque - 1960-80 - où l'anarchie et les conflits faisaient rage. Ses élèves et ses partisans ne prirent jamais part au conflit de ces années. Au contraire, ils jouèrent un rôle clé dans la réconciliation de la société. Même quand une vague de lutte armée surgit entre les gauchistes et les nationalistes, qui coûta la vie d'au moins 10 000 personnes, les partisans de Nursi restèrent pacifiques et ne s'impliquèrent pas dans l'anarchie. L'un de ses élèves écrivit un livre pour dissuader les gens de l'usage de la force et pour mettre un terme à cette lutte sanguinaire.[31]

Voici venu le moment de parler d'un autre penseur et savant islamique très influent en Turquie, Fethullah Gülen. Il émergea comme une grande figure publique influente dans les années 1970, après que ses discours et ses sermons devinrent célèbres parmi des pans entiers de la société. Comme Nursi, Fethullah Gülen pratiqua également la voie de la non-violence dans son activisme. Son expérience et sa souffrance personnelles jouèrent un rôle crucial dans sa compréhension de la non-violence. Il fut lui-même témoin de la lutte violente qui opposa les gauchistes aux nationalistes et qui provoqua la mort de milliers de personnes, surtout des jeunes. D'autre part, il observa les combats des guérillas kurdes contre le gouvernement turc, qui coûtèrent aussi 30 000 vies en l'espace de 15 ans. Accusé d'enfreindre la loi, et plus particulièrement l'article 163 de la Constitution turque interdisant les activités religieuses, Gülen passa plusieurs mois en prison dans les années 1970, bien qu'il fût finalement acquitté. Gülen consacra ses efforts à la paix et à la non-violence. À l'époque de ces conflits, il rappelait toujours à ses élèves de ne pas s'en mêler, même s'il venait à être tué. Gülen dit: « Ceux qui m'aiment savent que lorsque l'anarchie s'était emparée de tout notre pays, j'ai appelé au calme et à la maîtrise de la colère. J'avais reçu des menaces de mort, et pourtant, j'ai demandé à ceux qui m'aimaient de continuer à travailler pour la paix: 'Si jamais je suis assassiné, malgré votre colère, je vous demande d'enterrer mon corps et de rechercher l'ordre, la paix et l'amour dans notre société. Quoi qu'il advienne, nous, croyants, devons représenter l'amour et la sécurité'. Je continue à penser la même chose aujourd'hui. »[32]

Afin de travailler sur divers problèmes sociaux et d'apporter l'harmonie dans la société, Gülen promut la coopération dans les différentes sections de la société, notamment avec les adhérents des religions autres que l'islam ainsi qu'avec les laïcistes en Turquie. Visant la promotion de la coopération et de l'harmonie parmi les groupes opposés de la société turque, il fut l'une des forces motrices derrière la création d'une ONG turque appelée la Fondation des Journalistes et des Écrivains (Gazeteciler ve Yazarlar Vakfı) ( FJE). Cette organisation réussit à rassembler des gens de différents milieux pour la réconciliation sociale sous le titre « le Congrès Abant ». La FJE élargit ses activités en organisant des rassemblements en dehors de la Turquie, comme celui sur la compatibilité de l'islam avec la démocratie, dans le district de Washington à l'Université de John Hopkins en avril 2004.

Pour un futur monde où règnera la paix, Gülen encourage ses fidèles à créer des institutions éducatives aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Turquie. Il accorde une importance particulière aux régions du monde où les conflits ethniques et religieux s'intensifient, comme en Albanie, au Kosovo, en Macédoine, aux Philippines, au Banda Aceh, au nord de l'Irak et au sud-est de la Turquie. Les écoles ont joué un rôle remarquable dans le niveau d'apaisement des conflits dans ces régions. Lors de ma visite en Macédoine l'été 2004, j'ai eu l'occasion de me rendre dans l'une de ces écoles, établies par les hommes d'affaires turcs, admirateurs de Gülen. D'après ce que l'on m'a dit, durant le conflit entre les Albanais et les Serbes, des gens des deux camps amenaient leurs enfants dans cette école considérée comme un havre de paix, afin de les protéger de tout engagement dans le conflit.[33] Ces écoles servent les enfants de tous milieux ethniques et religieux.

Gülen utilise la coopération et le dialogue interreligieux pour empêcher de futurs conflits et violences entre les adhérents de différentes religions. Il est devenu le symbole de la coopération interreligieuse en Turquie. Il a rencontré le défunt Pape Jean-Paul II[34], ainsi que d'autres leaders religieux tels que le Patriarche Bartholomé I, leader spirituel d'environ 300 millions de chrétiens orthodoxes, et le Grand Rabbin d'Israël, afin de développer la coopération interreligieuse dans divers sujets pour apporter la paix dans le monde. Gülen croit fermement que la coopération interreligieuse est une nécessité absolue de nos jours. Pour diverses raisons, les musulmans ont négligé cette tradition pendant une certaine période de temps ; or ses racines sont bien présentes dans les enseignements fondamentaux de l'islam. Faisant allusion à la constitution de Médine, Gülen souligne que le Prophète lui-même pratiqua une telle coopération. Il considère la coopération interreligieuse comme étant obligatoire pour les musulmans pour soutenir la paix et l'harmonie.[35] Lui-même victime de persécution religieuse, Gülen défend vigoureusement la liberté de religion aussi bien pour les musulmans que pour les non-musulmans. La norme d'harmonie que Gülen a encouragée a continué et été soutenue jusqu'au semi-coup d'État militaire qui survint le 28 février 1997. Une attaque immédiate fut lancée contre lui et devint un obstacle majeur à ses enseignements. Gülen, qui souffre de problèmes cardiaques, fut forcé à quitter la Turquie et à s'installer aux États-Unis, en raison de la situation de la Turquie et de ses problèmes de santé. Ses opposants ont fait un montage de cassettes vidéo de façon à pouvoir l'accuser d'essayer de s'emparer du contrôle de l'État.

Toutefois, Gülen continue à pratiquer la théologie du dialogue, puisqu'il croit que ses enseignements sont profondément ancrés dans les principes de l'islam. Il a écrit divers articles sur ce sujet. Interprétant le hadith qui décrit les musulmans comme étant ceux qui ne font pas de mal à leurs semblables que ce soit avec leur langue ou avec leurs mains, Gülen dit:

Les vrais musulmans sont des gens de confiance et de sûreté, tant et si bien que les autres musulmans peuvent tourner le dos sans la moindre hésitation ni le moindre doute. Ils peuvent leur confier un membre de leur famille sans aucune crainte, car cette personne sera parfaitement à l'abris de la langue et des mains des musulmans. S'ils sont ensemble dans une assemblée, la personne peut quitter le lieu en étant sure que personne ne dira de mal sur elle, et elle n'aura pas non plus à écouter de commérages à propos des autres. De tels musulmans sont aussi sensibles à la dignité et à l'honneur des autres qu'ils le sont pour eux-mêmes. Ils ne mangent pas, ils nourrissent les autres. Ils ne vivent pas, ils font vivre les autres. Ils iront même jusqu'à sacrifier les plaisirs spirituels pour les autres.[36]

Faisant référence à un poème du célèbre mystique turc Yunus Emre (décédé en 1321), Gülen promeut une totale non-violence envers les autres: « Nous devons faire comme si nous étions 'sans mains' face à ceux qui nous frappent, et 'sans langue' face à ceux qui nous maudissent. S'ils essaient de nous briser 50 fois, nous ne nous briserons pas, et nous embrasserons tout le monde avec amour et compassion. Avec amour les uns pour les autres, nous marcherons main dans la main vers le lendemain. »[37] La Fondation de Spiritualité du Kirghizistan lui a remis un prix d'honneur pour sa contribution à la paix dans le monde à travers ses efforts éducatifs en 2004.[38]

La victoire de Gülen est spirituelle. Il se réfère souvent à la victoire spirituelle de Nursi - la seule réelle victoire. Il donne aussi un exemple tiré de l'histoire: « Tariq bin Ziyad, le conquérant musulman d'Espagne, était victorieux, non pas parce qu'il avait battu l'armée espagnole, mais en raison de son abnégation quand il se tint devant le trésor espagnol et dit: 'Prends garde Tariq ! Hier tu étais un esclave, aujourd'hui tu es un commandant victorieux, et demain tu seras sous terre'. »[39] Selon les enseignements de Gülen, la force spirituelle de Tariq était bien plus puissante que sa victoire militaire. Telles sont les choses essentielles dans la théologie de non-violence de Gülen. Selon lui, l'amour est une arme invincible, et l'amour d'autrui apportera le sacrifice et le service pour les autres. Se sacrifier pour servir les autres est un élément essentiel et central de ses enseignements. Il dit que les héros sont ceux qui ne vivent pas pour eux-mêmes mais pour les autres. Dans ses enseignements, un attribut de la paix est la compassion et l'amour - non seulement pour les êtres humains, mais aussi pour les animaux. Lors d'un entretien privé que j'ai eu avec lui, Gülen me raconta un incident où sa pratique de la paix et de la non-violence s'étendait jusqu'à inclure un insecte dans le lavabo de sa salle de bain ; il passa beaucoup de temps à tenter de le sauver parce qu'il avait conscience que c'était une créature de Dieu et qu'il ne fallait donc pas la laisser mourir.[40] Aussi adopte-t-il la même approche non violente envers le monde de la nature. Il prône une relation harmonieuse entre les humains et la nature: « Cet art miraculeux dans la nature montre quelque chose de plus subtil, quelque chose au-delà de sa propre beauté, quelque chose qui indique l'Un qui l'a si magnifiquement créé, qui veut être perçu à travers Son art, mais ne saurait être perçu complètement en raison de Sa majesté. »[41]

Aujourd'hui, que cela nous plaise ou non, beaucoup sont fiers de fabriquer les armes les plus performantes et les bombes les plus puissantes pour pouvoir s'entretuer. À une époque où l'islam est assimilé à la violence et à la barbarie, cette expérience turque de la non-violence au sein de l'enseignement islamique présente une solution viable. Cette voie a été suivie et pratiquée par des millions de personnes pendant près d'un siècle. J'espère que ce récit d'une réussite attirera l'attention des chercheurs à l'échelle mondiale.

Zeki Saritoprak, Université de John Caroll, Cleveland, Ohio
The Muslim World, Numéro Spécial, Juillet 2005 - Vol. 95 Numéro 3 Pages 325-471


[1] Al-Bukhari, Livre II (Croyance), Hadith no. 10.

[2] Pour des termes tels que adl (justice), ihsan (bienfaisance), rahmah (miséricorde), hikmah (sagesse) et leur rapport avec le concept islamique de la non-violence, voir Mohammed Abu-Nimer, Nonviolence and Peace Building in Islam, (Gainesville: University Press of Florida, 2003), 37-47.

[3] L'on trouve une grande similarité entre cette parole prophétique et l'enseignement de l'ahimsa par Gandhi, le terme Sanskrit pour "aucun mal" (voir Thomas Merton, Gandhi on Nonviolence: a Selection From the Writings of Mahatma Gandhi, (New York: New Directions Publishing, 1964), 23. Voir aussi William Robert Miller, Nonviolence a Christian Interpretation, (New York: Schocken Books, 1966), 23-32.

[4] Al-Bukhari, Livre XLIX (Sulh-la paix), hadith no. 862.

[5] Voir al-Bukhari, Livre XLIX (Sulh-la paix). Ce livre en particulier contient une section spéciale sur le mérite d'installer la paix entre des parties conflictuelles.

[6] Voir Said Nursi, Mektubat (Les Lettres) (İstanbul: Sozler Yayinevi, 1994), 162.

[7] Al-Bukhari, Livre LIII (Khumus, Un quinzième du butin pour Dieu), Hadith no: 377.

[8] Abu Dawud, Sunan, hadith no: 4329.

[9] Voir al-Ghazzali, al-Iqtisad fi al-I 'tiqad, (eds.) Ibrahim Agah Cubukcu et Huseyin Atay (Ankara: Nur Matbaasi, 1962).

[10] Gene Sharp, Exploring Nonviolent Alternatives. (Boston: Porter Sargent Publishers, 1970), 36-37.

[11] Voir al-Bukhari, Livre LII (djihad ), hadith no. 158. Cf. Nursi, Risale-I Nur Kulliyati, vol. I, 426.

[12] Pour divers termes et définitions, voir William Robert Miller, Nonviolence, 23-32. Pour cette définition en particulier, voir http://en.wikipedia.org/wiki/Nonviolence. (information obtenue le 5.2.2005).

[13] Cité dans William Robert Miller, Nonviolence, 49.

[14] Voir Gene Sharp, The Politics of Nonviolent Action, 3 volumes (Boston: Porter Sargent Publishers, 1973). Voir aussi Manfred B. Steger et Nancy S. Lind (eds.), Violence and its Alternatives: An Interdisciplinary Reader. (New York: St. Martin's Press, 1999), 293-351. À l'exception de certains savants comme Douglas Karin Crow "Islam, Peace, Nonviolence: a Select Bibliography." De ceux-là, seul Nursi est inclus parmi les héros de la non-violence. Voir Nonviolence International. www.aviusa.com (obtenu le 9/29/04).

[15] Hamid Algar "The Centennial Renewer: Bediuzzaman Said Nursi and the Tradition of Tajdid" Journal of Islamic Studies, 12:3 (2001), 291-311.

[16] Voir Necmeddin Íahiner, Bilinmeyen Taraflariyle Bediuzzaman Said Nursi (Les Aspects Méconnus de la Vie de Nursi). (İstanbul: Yeni Asya Yayinlari, 1979), 341-2.

[17] Nursi, Risale-i Nur Kulliyati, vol. I, (İstanbul: Nesil Yayinlari, 1996), 1060.

[18] Ibid., vol. II, 1912.

[19] Ibid., vol. II, 1797.

[20] Khan Abdulgaffar Khan était un leader spirituel en Afghanistan qui s'opposa à l'occupation britannique en Inde. En tant que musulman dévoué, il croyait que le seul moyen pour le progrès des musulmans était l'éducation. Il créa une organisation appelée Khudai Khidmatkar ou les Serviteurs de Dieu. Les membres de cette organisation juraient: "Je n'emploierai jamais la violence. Je ne m'engagerai dans aucunes représailles et je ne me vengerai pas." (voir Manfred Steger, Ibid., 350).

[21] Nursi, Risale-i Nur Kulliyati, vol. II, 1931.

[22] Ibid., vol. II, 1930.

[23] Ibid., vol. II, 1921, 1930.

[24] Nursi, Risale-i Nur Kulliyati, II, 1914.

[25] Leo Tolstoï, The Law of Love and the Law of Violence, tr. Mary Koutouzow Tolstoy. (New York: Rudolph Field, 1948). Pour l'expression voir A Confession and Other Religious Writings, tr. Jane Cantish (Harmond Worth, U.K.: Penguin Books, 1987), 176.

[26] B. S. Nursi, Mektubat, 418.

[27] Said Nursi. Risale-i Nur Kulliyati. vol. II, 1910.

[28] Ibid., 1981.

[29] Nursi, Kastamonu Lahikasi (The Supplement of Kastamonu), (İstanbul: Sinan Matbaasi, 1958), 241.

[30] Voir Necmeddin Íahiner, Bilinmeyen Taraflariyla, 254-5.

[31] Mustafa Sungur, Anarmi: Sebep ve Çareleri (Anarchy: Causes and Solutions)," (İstanbul: Yeni Asya Yayinlari, 1979).

[32]Hurriyet, quotidien, 4.21.2004 (interview accordée à Safa Kaplan).

[33] Pour les effets de l'école turque dans l'île de Mindanao dans le sud des Philippines, et comment cette école a servi de havre de paix, voir Thomas Michel "Fethullah Gülen as Educator" dans M. Hakan Yavuz & John L. Esposito (eds.), Turkish Islam and the Secular State: The Gülen Movement, (Syracuse: Syracuse University Press, 2003), 69-84.

[34] Voir Thomas Michel, "Two Frontrunners for Peace: John Paul II and Fethullah Gülen." Article non publié et présenté au Symposium des Avants-Gardes de la Paix, organize par la Foundation Cosmicus, 16-18 mars 2004, à Amsterdam, en Hollande.

[35] Fethullah Gülen, "Hosgoru Surecinin Tahlili." (Analyse du Processus de Tolérance). www.herkul.org. (obtenu le 05.02.2005)

[36]http://en.fgulen.com/a.page/tolerance.and.dialogue/.../a1307.html

[37] Extrait du discours de Gülen prononcé lors de la réunion de la Fondation des Journalistes et des Écrivains, 11 février 1995.

[38] Zafer Ozcan, "Kyrgyz Grants Gülen Contribution to Peace Award," le quotidien Zaman, 03-11-2004.

[39] Fethullah Gülen, "Victory of the Spirit," Sizinti, juillet 1983, vol. 5, numéro 54, éditorial.

[40] 25 janvier 1996 à İstanbul.

[41] Gülen, Fetullah. "Tahrib Edilen Tabiat" (La nature que nous avons détruit). Cité dans Abdul Fattah Sahin. Zamanin Altin Dilimi (L'âge d'or du temps). (Izmir: Tov Yayinevi, 1991), 110-114. Voir aussi Zeki Saritoprak, "Fethullah Gülen," Encyclopedia of Religion and Nature. ed. Bron Taylor, vol. I-II, (Bristol, New York: Continuum, 2005).

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