Les bases humanistes de Gülen

Le modèle de Gülen est l'essence de la synthèse sur laquelle a débouché le mariage de la culture turque avec l'islam, se concentrant sur des problèmes humanitaires, le développement de l'individu, la tolérance et la réconciliation. Les musulmans turcs ont mis en pratique la tolérance et la réconciliation, des valeurs qui sont l'essence de la culture démocratique contemporaine depuis plusieurs siècles.

Le modèle de l'islam turc, qui a d'abord été élaboré par des soufis turcs, a une longue histoire et une grande complexité et subtilité. Il a été inséré dans le tissu même de cette nation dès ses débuts, de Yesevi à Roumi, jusqu'à Yunus et Haci Bektas Veli. En partant de cette base, Gülen a reconstruit cette tendance et cette compréhension éminemment tolérantes et douces du soufisme musulman turc et les a adaptées pour servir la société contemporaine et répondre à ses besoins. Mais sa compréhension indique une vision plus large, plus active et plus impliquée socialement. Chez Roumi, Yunus et Haci Bektas Veli, il y a plus la compréhension d'un introverti qui appelle le croyant à l'école de l'apprentissage. Et tandis que dans ces écoles, la tolérance et le dialogue sont limités au code de l'école et à son environnement social, Gülen ouvre et transforme ce cadre et cette vision pour inclure tous les peuples du monde, musulmans comme non musulmans. Dans un sens, sa mission est donc une activité de transformation, car il unifie sa mission et son mouvement avec le but existentiel de l'homme dans le monde. Alors que d'une part il organise la rencontre et le dialogue de personnes venant de nombreuses cultures différentes dans le monde entier, il encourage d'autre part le développement spirituel et intellectuel de l'individu que la modernité a rendu égoïste, et sa transformation par le sens du « service » (hizmet) et du dévouement. Dans ses pires aspects, l'homme créé par la modernité est passif, léthargique du fait de son fardeau individualiste, maladroit et égoïste. Chez cet homme, la capacité à affronter des questions aussi lourdes que la religion, la culture, le dialogue entre les civilisations, la tolérance et la réconciliation est limitée et doit d'abord être développée pour qu'il puisse apporter sa contribution à la société. Les gens qui peuvent supporter une telle charge doivent être pleins d'abnégation, sincères, altruistes, généreux et ouverts sur les autres. Même ceux qui sont là pour frapper, casser et détruire devraient trouver une nouvelle vie en lui, y trouver leurs propres fondations humaines. Pour cette raison, l'homme que Gülen place à la base du dialogue et de la tolérance doit être – dans son action, son attitude et ses pensées – toujours positif. Il ne doit pas agir selon d'autres motifs ou réactions, ni être soumis à des réflexes intérieurs ou extérieurs. Il doit être constructif et non destructif. Un tel homme doit être prêt à affronter des épreuves. Cela ne peut être réalisé simplement par la religiosité, en se contentant de rester dans un coin tranquille, mais plutôt en s'immergeant dans le courant de la société. Le modèle de Gülen promet un engagement actif avec la vie et ses difficultés. C'est un modèle dont les deux côtés sont ouverts sur l'éternité. Ni la transcendance spirituelle, ni le sacrifice matériel, ni l'altruisme ne peuvent avoir de limites. Ils sont tous ouverts sur l'éternité. Tout ce que vous faites au nom du public, de l'humanité et de l'amour de Dieu ne peut jamais être assez.

Quand on l'observe du point de vue des problèmes humains et universels généraux, la vision qu'offre Gülen produit un effet qui peut affecter tous les processus humains et sociaux, car il laisse toutes les questions idéologiques de côté et propose un modèle fondé sur l'homme comme élément de base de toute idéologie. L'homme ou la femme dans ce modèle est une personne altruiste qui a été créée par Dieu pour hériter de ce monde, qui peut laisser de côté tous ses besoins et désirs personnels au nom de l'amour Divin – l'amour pour l'humanité et pour toute existence. En conséquence, cette personne peut être placée à la base de toutes sortes d'interactions, de sociétés et de leadership. Vous pouvez former toutes sortes de modèles sociétaux basés sur une telle personne. La nature spirituelle, intellectuelle et sociale de cette personne est d'agir favorablement et positivement dans toutes les situations. Partout des gens qui sont devenus des partisans de la voix et des pensées de Gülen s'efforcent d'agir de cette façon. Dans différentes parties du monde, dans des climats idéologiques, politiques, religieux et socioculturels variés, ils sont tous plus que bienvenus. Ils mettent l'accent sur les valeurs humaines, sociales et éthiques qui peuvent être partagées de tout coeur par tous.

La modernité aspirait d'abord à abolir le modèle traditionnel de l'homme. Pour y parvenir, elle a inventé des moyens politiques, sociaux et culturels. L'homme traditionnel était un modèle public. Même si ce n'était pas toujours le cas en pratique, en théorie il ne vivait pas seulement pour lui-même. Il était plein d'abnégation quand il s'agissait de la société, de la nation, de la religion et de l'humanité. Il n'agissait pas pour son intérêt et son bénéfice personnels. Il aidait et soutenait son prochain, lui faisant part de sa conviction religieuse. Il n'était pas indifférent envers les pauvres, ses voisins ou les gens dans le besoin. Il voyait même les problèmes humains et moraux sévissant à l'autre bout de la planète et en condamnait les responsables. Mais l'idéologie de la modernisation n'avait pas de valeur pour inclure un tel modèle d'homme – décent, accueillant et doux. Elle est matérialiste, et son modèle pour l'homme n'était pas « l'homme » mais « l'individu ». Il vivait dans son coin, seul dans un monde d'égoïsme. Son idéologie était le progrès constant – gagner de l'argent, toujours plus d'argent, jusqu'à épuiser toutes les limites de la richesse et du bien-être. Dans certaines parties du monde moderne, ce modèle a pris racine. Mais les gens se sont rapidement aperçus que même après avoir atteint les limites spatiales de la richesse et du bien-être, les problèmes politiques, économiques et socioculturels n'avaient pas disparu. Tandis que leur richesse matérielle augmentait, leur pauvreté spirituelle augmentait tout autant. Le point qu'ils atteignirent était un état qui ne les satisfaisait ni matériellement ni spirituellement. Les individus et les communautés ont commencé à mettre en doute le système qui les régissait et se sont fait entendre par l'intermédiaire de groupes de pression et d'organisations sociales.

Dans ce moment historique, réel et socioculturel, nous voyons l'importance des nouvelles façons de vivre la religion et des nouvelles pratiques qui sont en hausse dans tous les peuples du monde. En tant que base de nouvelles crises politiques et sociales, nous voyons l'homme au premier plan. L'existence de l'homme sur terre et sa façon de s'épanouir sont à nouveau sujettes à interrogation. C'est une question qui a hanté l'esprit des grands penseurs à toutes les époques, en commençant par les premiers philosophes naturalistes jusqu'aux philosophes d'aujourd'hui. La réponse la plus complète et la plus satisfaisante à cette question fut donnée par les « Religions du Livre ». Après l'aventure dans laquelle l'homme s'est trouvé pendant le processus de modernisation, et après que les prix sociaux, économiques et politiques requis aient été payés, l'homme se tourne à nouveau vers le Divin, vers les valeurs sacrées et célestes qui font de l'homme la raison d'être de l'univers. L'« homme de Vertu » que les « Religions du Livre » mettent particulièrement en avant est précisément l'individu idéal que les paradigmes sociaux recherchent aujourd'hui.

Inévitablement, il y avait besoin de nouveaux efforts soutenus pour développer de telles personnes. Cet effort n'est rien d'autre que la reproduction de l'homme public, l'homme rempli d'abnégation, loyal et spirituel. Cela nécessite de bâtir une génération vouée comme dans le vieux dicton « au service des gens, pour le Seigneur, le Tout-Véridique ». L'ayant écarté de son esprit et de sa conscience, l'esprit de dévotion est une manière de vivre que la mentalité contemporaine ne peut pas comprendre. Pourtant, toutes les grandes civilisations du passé, tous les empires et États qui ont réussi, et toutes les valeurs se rapportant à la civilisation ont été établies par des gens qui possèdent cet esprit. Les sociologues et les spécialistes des structures sociales s'efforcent maintenant de retrouver ce type d'homme. Des modèles, méthodes et projets nouveaux sont développés. Ils craignent la destruction dans laquelle la civilisation contemporaine pourrait succomber s'ils échouaient dans leur projet. En effet la civilisation moderne a un besoin d'individus ayant le sens à la fois du sacrifice et du dévouement pour la communauté, le dialogue et le consensus sincères. L'activité frénétique que Gülen et son mouvement ont entreprise en matière d'éducation a donc une grande importance en cette période.